“Je n’ai jamais autant entendu parler de culture que depuis que je travaille dans des organisations”

Formé à la sociologie à l’EHESS et empreint de philosophie pragmatique américaine, Charlie Duperron est associé chez Ascend Partners, société sœur d’Eranos. Ascend et Eranos déploient tous deux des approches conseil avec une forte sensibilité aux apports des sciences humaines et sociales aux organisations. Eranos met cet échange à profit pour présenter son partenaire et ses réflexions sur la culture d’entreprise.

Que faut-il observer lorsqu’on traite une problématique de culture d’entreprise ?

Traiter une problématique relative à la culture d’une entreprise revient à observer les pratiques. Dit autrement, si vous voulez comprendre la culture d’une organisation donnée, il faut commencer par comprendre quelles sont ses pratiques : la gouvernance, les process, les modes de fonctionnement, les modes de communication, les modes de formalisation de la connaissance, etc. Chemin faisant, vous allez identifier des nœuds, des leviers qui ont plus d'impact que d'autres dans le cadre d’une transformation. C’est ça notre travail !

Tu es sociologue formé à l’EHESS. Si tu prends du recul, quelle est ta pratique de la sociologie dans ton quotidien de consultant ?

Je retiendrais une citation du philosophe John Dewey qui caractérise la façon dont j’ai toujours appréhendé la sociologie et qui est aussi la façon dont nous utilisons les sciences sociales chez Ascend : “La philosophie renoue avec sa vocation lorsqu’elle cesse d’être un dispositif de philosophes pour régler des problèmes de philosophes et devient une méthode cultivée par des philosophes pour résoudre les problèmes des hommes”.

Le deuxième enseignement que j’ai appris dans mon métier de consultant est le suivant : au-devant d’une quantité de problèmes formulés par le client et qui pourraient paraître insolubles, il est toujours bon de se poser une question : N’y a t-il pas une manière de formuler ces problèmes qui, précisément, nous empêche de les résoudre ? Il arrive ainsi qu’on comprenne que le client est à la fois “le problème” et “la solution”. La force de notre travail repose en premier lieu sur notre capacité à bien problématiser. C’est pourquoi à l’approche pragmatique il faut conjuguer l’approche systémique. Tu ne peux pas avoir la prétention d’aider une organisation à résoudre un problème si tu n'as pas une vision systémique. Dans le cas contraire, tu risques de travailler à la mauvaise échelle, te tromper d'objet, ne pas prendre en compte certaines dimensions capitales, etc. Et, ça, c'est notre responsabilité, pas celle du client. Tout cela, tu l’apprends en pratiquant, pas en lisant (exclusivement) des livres sur la conduite du changement (même s’il y a des ouvrages excellents !). Bien entendu, tu peux te tromper, faire face à des résistances au changement mais quoiqu’il advienne, tu dois être animé par une exigence : la réussite. Donc, c'est un travail d'équilibriste !

Je n'ai jamais eu autant l'impression d’être sociologue et ce pour deux raisons : personne ne sait que je suis sociologue et je ne fais pas de sociologie théorique !

Quel regard poses-tu sur la façon dont les entreprises se saisissent de la notion de culture ?

Paradoxalement, j'ai jamais autant entendu parler de la notion de “culture” que depuis que je travaille auprès d’organisations. La notion est au cœur des préoccupations et soulève, par engendrement, la question du sens et de la signification liées aux nouvelles façons de s'engager dans le travail.

En revanche, il y a un écueil dans lequel il ne faut pas tomber : “la culture”, comme “la stratégie” sont polysémiques. Si ces termes semblent faire sens pour tout le monde, il n’en demeure pas moins difficile de décrire concrètement ce qu’ils recouvrent. C'est pour ça que la vision systémique est absolument capitale pour établir les liens entre ces notions qui, en l’absence d’un examen minutieux, deviennent des mots valises ou des concepts un peu fumeux qui vont des sciences cognitives jusqu’au sciences sociales.

Quel bilan dresses-tu en tant que sociologue après toutes ces années en conseil ? Dirais-tu que tu es un sociologue accompli ?

Oui, absolument ! Je n'ai jamais eu autant l'impression d’être sociologue et ce pour deux raisons : personne ne sait que je suis sociologue et je ne fais pas de sociologie théorique !

Quel est le défi des sciences sociales en entreprise ?

Le défi est paradoxal. D’un côté les sciences sociales n’ont jamais eu un tel écho que depuis une quinzaine d’années au-delà de la sphère universitaire et l’on peut se satisfaire qu’un certain nombre de concepts aient infusé dans la société, en particulier au regard des défis humains, technologiques, écologiques et environnementaux que nous connaissons. Car les sciences sociales sont un repère pour comprendre et surtout pour agir. Pour autant, on assiste, je pense, à un problème plus profond qui est celui de leur usage ou plus exactement du bon usage des sciences sociales. Un concept sociologique par exemple n'est pas une tendance. Un concept est mobilisé à la suite d'un certain nombre d’études, éprouvé à l’épreuve des faits. C’est donc un usage raisonnable et raisonné qu’il faut promouvoir autrement les effets sont absolument délétères.

Quel est l’enjeu autour de la surutilisation de ces concepts ? En quoi est-ce délétère ?

Tu as deux façons d’appréhender la sociologie : soit comme une discipline proprement théorique soit comme une activité résolument empirique. C’est ce à quoi je crois : décrire une situation donnée c’est déjà l’analyser. Et bien décrire, c’est permettre le partage de la connaissance et entrevoir les solutions aux problèmes auxquels nous autres sommes confrontés.

David  Aznar-Schwarz
David Aznar-Schwarz est consultant senior spécialisé en innovation. Diplômé d’Audencia Business School et formé au design à l’ENSCi Les Ateliers, il accompagne les entreprises à réagir face aux mutations technologiques, sociétales et environnementales. Il sait mobiliser les écosystèmes innovants pour dessiner par l’intelligence collective et la prospective un avenir commun. Chez Accenture Strategy & Consulting, David a travaillé avec les directions de grands groupes sur la structuration de leurs équipes innovation, sur l’évolution de leur operating model et de leur culture d’innovation et sur leur communication stratégique liée à cette transformation.

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