“La culture est un produit à part entière de l’entreprise”

People Lead chez Alan, assurance santé connue pour avoir intentionnellement désigné sa culture, Juliette Raimbault invite les entreprises à se saisir de leur culture avec honnêteté et sérieux.

Quand on pense à Alan, on pense surtout à sa culture collaborative. Vous savez pourquoi ?

La culture de la collaboration est en effet centrale, mais c’est aussi la culture du produit. Au moment où nos deux cofondateurs ont créé Alan, ils ont créé deux produits : Alan, l’assurance santé ; et en miroir, ils ont construit sa culture d’entreprise.

Un des piliers fondateurs de notre culture d’entreprise est la transparence radicale. Cela désigne le fait que l’ensemble de l’information est mise à disposition de tous les salariés. On estime que le fait de ne pas avoir de secrets évite les bruits de couloir et inefficacités. On estime également que c’est un prérequis à l’autonomie et la responsabilité.

Les deux produits vivent et se nourrissent l’un l’autre. Rien n’est né de la théorie ou de façon superflue. Notre manière de résoudre nos problèmes, penser les processus, est ancrée dans nos valeurs. On les utilise au quotidien.

Quelles sont justement ces valeurs ?

Elles ont un nombre de cinq et évoluent. On a l’ “ownership” distribué. Chacun à son niveau, avec son expertise et sa séniorité, est maître de son périmètre. La deuxième est la priorité à nos membres. On pense en termes de besoin, fluidité de l’expérience et valeur à apporter. Puis on a la transparence radicale. Les seules données qui ne sont pas transparentes, ce sont les données personnelles des salariés. Après, il y a la valeur de développement personnel et collectif. On met ici l’accent sur la valeur produite en collectif et non la performance individuelle. Enfin, on a l’ambition sans peur. Cette valeur a été introduite récemment. Il faut comprendre qu’Alan connaît l’hypercroissance. Dans les faits, c’est une équipe de personnes qui cherche l’excellence au quotidien. C’est assez exigeant comme réalité ! Ça implique de penser l’intensité au travail.

À partir de ton expérience chez Alan, comment définirais-tu la culture d’entreprise ?

La culture est tout simplement ce qui définit ton terrain de jeu. Le cadre dans lequel agissent les équipes. Ce qu’elles peuvent réaliser, ou pas. Elle pose par exemple les bases de la manière dont on va vivre l’intensité au travail. Ce cadre n’est pas dogmatique, il demande beaucoup d’examen au cas par cas. En fait, la culture est un produit à part entière de l’entreprise.

Au moment où nos deux cofondateurs ont créé Alan, ils ont créé deux produits : l’assurance santé, et sa culture d'entreprise.

Aujourd’hui, des entreprises qui ne produiraient qu’un produit ou qu’un service seraient extrêmement pauvres dans l’expérience candidat-employé. Il faut penser la culture comme un produit parce que ça permet d’avoir une approche user centric. On part des besoins et on crée ce “produit” qu’est la culture d’entreprise autour de ça. Les entreprises ont besoin de cette cohérence parce qu’elles doivent écrire un narratif qui dépasse leur produit si elles veulent créer leur marque employeur.

Chez Alan nos salariés sont une majorité de trentenaires qui évoluent dans la tech. C’est un milieu réflexif attaché à la cohérence du discours et des valeurs.

Le fait de parler de produit laisse entendre que l’on peut maîtriser la culture d’entreprise ? Est-ce vraiment le cas ?

Ce n’est pas un produit industriel effectivement, c’est un produit vivant. Il y a un côté presque artisanal dans la manière de le concevoir. Vivant parce qu’on parle de gens qui ont un avis sur les questions qui les concernent en premier chef. On a une idée en tête et on a une matière. Cette matière est vivante.

Tu vas avoir une certaine idée du produit final mais des évènements vont chambouler ton plan et il va falloir ajuster. L’enjeu est d’accompagner son développement sans jamais le contrarier. Ça ne veut pas dire que tu n’as pas de produit, à la fin tu as bien ton produit.

L’idée, c’est qu’on a des gens qui sont en effervescence. Et encore une fois, au-delà de l’intérêt pragmatique, j’aime bien que ces gens soient heureux et curieux, enthousiastes à l’idée de venir tous les matins. Sinon, ça n’a pas de sens.

Est-ce que les entreprises ont un rôle à jouer, par leur culture, pour œuvrer à l’habitabilité du monde ?

Je ne ferais pas de généralités. Chez Alan, notre culture d’entreprise est axée autour de l’autonomie, de la résolution de problèmes et de la capacité à apprendre et prendre des sujets complexes sur ses épaules. Je trouve cette culture extrêmement puissante.

Le dérèglement climatique par exemple est un énorme sujet qui assomme tout le monde. Chez Alan, on se demanderait “comment puis-je le découper en petits problèmes à prendre les uns après les autres pour avoir un impact incrémental et agir à mon échelle ?” Ou “comment puis-je le faire en autonomie ? Comment puis-je activer les ressources autour de moi pour le faire ?” Pour moi, ça fabrique des gens qui, en théorie, seraient totalement aptes à relever les défis d’aujourd’hui et de demain.

Un mot pour la fin ?

La culture d’Alan n’est pas parfaite et elle ne convient pas à tout le monde. Elle a cependant le mérite d’être claire et incarnée. Comme dans toute entreprise, on a des départs déçus. Mais je n’ai jamais eu de départ parce que la personne n’a pas retrouvé dans son expérience employé ce qu’on lui avait promis.

L’encouragement à pousser les entreprises à développer une culture qui soit pensée comme un produit n’est pas un exercice théorique. Si vous ne savez pas comment guider le collectif, si vous n’avez pas la main sur le terrain de jeu que vous leur proposez, l’entreprise avance comme un poulet sans tête. Ça manque de sens et les gens ont besoin de sens. Ils ont besoin de cohérence, ils ont besoin d’accountability.

Beaucoup de dirigeants sont stressés et se demandent comment rattraper le travail sur la culture de l’entreprise s’ils ne l’ont pas fait dès le départ. Oui ça peut s’implémenter plus tard. Par contre, il faut le faire avec une vraie honnêteté. S’il n’y a pas un engagement total du top leadership ça ne sert à rien.

David  Aznar-Schwarz
David Aznar-Schwarz est consultant senior spécialisé en innovation. Diplômé d’Audencia Business School et formé au design à l’ENSCi Les Ateliers, il accompagne les entreprises à réagir face aux mutations technologiques, sociétales et environnementales. Il sait mobiliser les écosystèmes innovants pour dessiner par l’intelligence collective et la prospective un avenir commun. Chez Accenture Strategy & Consulting, David a travaillé avec les directions de grands groupes sur la structuration de leurs équipes innovation, sur l’évolution de leur operating model et de leur culture d’innovation et sur leur communication stratégique liée à cette transformation.
Jean-Baptiste Blin
Jean-Baptiste est anthropologue, diplômé de l’Université Paris-Nanterre d’un master en Ethnologie, il est actuellement Consultant chez Eranos pour arpenter un nouveau monde : celui des organisations. Fondamentalement intéressé par la manière dont les hommes engagent des relations avec la nature, la technique, et la matière, il s’interroge aujourd’hui sur le rôle de l’entreprise dans ces interactions.

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Si je veux mener une bonne vie, ce sera une vie avec les autres, une vie qui n’est pas une vie sans les autres.
Judith Bulter, philosophe