Le backlash contre l’ESG, la RSE ou les statuts à mission n’est plus une simple rumeur venue d’Amérique. Il s’est installé dans les discours politiques, infiltré dans les arbitrages économiques, et semé le doute jusque dans les entreprises les plus engagées. Dans ce climat de remise en cause, certaines organisations font le choix de ne pas reculer. Elles tiennent, même quand tout incite à ralentir. Quel est ce courage-là ? Nous avons posé la question à trois figures du changement : Valérie Brisac (Communauté des entreprises à mission), Mehdi Coly (Team for the Planet) et Thomas Breuzard (B Lab France, Norsys, Mouvement Impact France).
Le backlash n’est pas là où on croit
Pour Valérie Brisac, le backlash est avant tout idéologique, pas économique : “Les acteurs de l’économie ne reculent pas. C’est un discours opportuniste, populiste, qui vient d’outre-Atlantique. Mais une entreprise qui anticipe les risques écologiques ne peut pas revenir en arrière. C’est un suicide économique”. Mehdi Coly, lui, évacue le sujet : “Si votre business model dépend de convaincre les gens d’être vertueux, vous êtes morts”.
Plus nuancé, Thomas Breuzard reconnaît des coups durs : “Le moratoire sur la CSRD a cassé beaucoup de dynamiques. Dans certains comités de mission, ça a été un vrai choc”. Pour lui, il ne faut pas sous-estimer la violence du moment, mais la replacer dans un affrontement plus large : “Ce n’est pas un backlash populaire, c’est un système historique qui entre en résistance parce qu’il sent que le vent peut tourner”.
Le courage structurel : là où on ne transige pas
Ce courage dont il est question ici n’a rien d’héroïque. Il se niche dans les choix de gouvernance, dans les statuts, dans la régularité des audits, dans les renoncements assumés.
Valérie Brisac insiste : “Le courage, c’est de faire des choix qui vont peut-être coûter à court terme, mais qui vont construire une trajectoire permettant à l’entreprise de durer et de renforcer son utilité”. Chez Norsys, Thomas Breuzard détaille : “On a refusé des contrats pourtant juteux, parce que pas alignés. On a aussi intégré la nature dans notre gouvernance. Elle a un droit de veto au conseil d’administration”.
Chez Team for the Planet, c’est la structure elle-même qui protège la mission. “On est en société en commandite pour éviter toute prise de contrôle. Même si quelqu’un voulait racheter la boîte, on pourrait l’en empêcher”. Le pouvoir est distribué, la mission sanctuarisée.
Tenir, ensemble et sur le long terme
Ce qui permet de durer ? Un système et des actions concrètes, plus que des intentions ou un militantisme affiché. Mehdi Coly : “On n’a pas de reporting. On est là pour faire grossir des boîtes, pas pour faire des slides”.
Thomas Breuzard parle, lui, de “radicalité souple” : “Il faut être radical dans les caps qu’on se fixe, mais souple dans la manière d’embarquer. Si tu vas trop vite, tu te casses les dents”. Ce qu’il défend, c’est une capacité à imposer un cap sans créer de rupture inutile. Un courage qui construit, plutôt qu’il n’affronte.
Valérie Brisac complète : “Le courage, c’est de faire des choix qui vont peut-être coûter à court terme, mais qui permettent à l’entreprise de rester fidèle à ce qu’elle prétend être. Et parfois, ce sont des petites décisions au quotidien, mais qui empêchent la mission de dépérir”.

Vers une économie de la fidélité
Au fond, ce que ces organisations incarnent, ce n’est pas tant le courage de dire non que celui de tenir une promesse dans la durée, y compris quand elle devient inconfortable (toute l’histoire de Pénélope). Un courage lent et systémique.
“Ce qui m’importe, dit Thomas Breuzard, c’est que les gens chez nous disent : Je reçois des offres toutes les semaines, mais jamais je ne partirai’. Là, tu sais que tu tiens quelque chose”.
Dans une époque de renoncements faciles, ce courage de la fidélité à des principes, à une mission, à une société possible est peut-être l’acte politique le plus structurant pour les organisations.