Petite sociologie des ascenseurs

Vous êtes loin d'imaginer tout ce qu'il se passe dans un ascenseur… Le sociologue Anthony Mahé raconte pourquoi l'ascenseur crée le malaise, et comment l'éviter (sans prendre l'escalier).

Pourquoi prendre l’ascenseur avec quelqu’un nous met mal à l’aise ? « Une gêne est occasionnée parce qu'on est un petit peu contraint par l'espace de l'ascenseur, qui est confiné et en même temps public, de faire quelque chose de la présence de l’autre », répond le sociologue Anthony Mahé. Pour éviter justement cette gêne, il livre quelques conseils.

Est-ce qu'il faut parler avec les gens dans l'ascenseur ?On n'est pas obligé de parler, mais c'est toujours préférable d'entamer une conversation parce que ça permet, justement, de ne pas avoir à ressentir ce léger malaise qui fait que quand on ne se parle pas, on se regarde, on ne sait pas trop où regarder, etc. Si on engage une conversation, on va déverrouiller un peu ces relations. Ce qu'il faut, c'est parler de ce qu'il y a de plus banal, de ce qu'il y a de plus ordinaire. Et honnêtement, parler de la météo, dire un petit « bonjour, ça va ? », « oui, il fait froid », « les transports, c'est compliqué », ça suffit largement.

Ça a créé une interaction. Tout le monde a senti qu'il existait dans le regard de l'autre et en réalité, l'ordre social n'a pas besoin de beaucoup plus que ça. Et tout le monde se sent, bizarrement, beaucoup mieux une fois qu'on l'a fait. Il faut se rappeler ce que disait le sociologue américain Erving Goffman dans les années 1970. Il dit que toute notre vie sociale, toutes nos interactions au quotidien sont extrêmement codifiées. C'est normé. Pas uniquement les relations familiales, les relations amicales, les relations professionnelles, mais toutes les interactions qu'on a au quotidien dans l'espace public.

Certains comportements sont déterminés par notre culture, par nos moeurs, etc. Toutes les interactions sont comme de petites cérémonies dans lesquelles on va appliquer des règles, des normes.

Où est-ce qu'on se place quand on arrive dans un ascenseur ?L'idéal, c'est de se placer exactement dans l'axe opposé de la cabine. C'est important de respecter cette distance, parce qu'on est à la fois dans un espace de promiscuité et dans un espace public. Si je me met tout près de l’autre, ça crée un sentiment de gêne, parce que l’autre se demande : « Mais pourquoi il s'approche aussi près de moi ? Il a de l’espace ! » Je force une rupture de l'intimité.

Grosso modo, notre société, c'est une harmonie sociale, avec le lien, ou le conflit. Le fait est que, globalement, même s'il y a toujours des exceptions, on cherche à éviter le conflit. Et cet évitement du conflit, on l'a intégré dans nos moeurs, dans notre culture, dans nos comportements, dans nos habitudes. Le simple fait de respecter une distance, de dire un simple « bonjour », c'est une manière de considérer l'autre et de faire en sorte que, globalement, à l'échelle macro-sociale, on est dans une société relativement harmonisée.

Que faire quand il y a de la musique ?Souvent, il y a des ascenseurs qui ont le bon goût d'être agrémentés de musique. C'est intéressant, parce que la musique évite d'avoir parler avec la personne. La musique, c'est quelque chose de commun qui fait le lien entre les gens. L'attention de toutes les personnes présentes dans l'ascenseur est captée par la musique, donc, d'une certaine manière, il y a une harmonie sociale naturelle qui se fait par la musique. C'est pour ça que c'est particulièrement utilisé dans les grands hôtels, les grands restaurants : pour éviter, justement, que les publics se trouvent dans une situation de gêne.

Et quand je croise mon patron ?L'ascenseur, c'est un moment privilégié où on a l'attention des personnes présentes. Si c’est l'ascenseur de votre entreprise et que votre patron entre dans l'ascenseur, vous avez une occasion unique de lui expliquer qui vous êtes et de vous manifester, de vous rendre visible à ses yeux. Il peut vous demander : « Qu'est-ce que vous faites exactement dans l’entreprise ? » Et là, vous avez quelques secondes. Il faut faire des phrases très concises, très précises. On se dit, en général, que c'est une phrase par étage pour dire qui vous êtes et à quel point vous êtes exceptionnel dans l'entreprise.

C'est une occasion incroyable pour briller. Il faut donc être très concis : « Bonjour, je suis Antoine de la comptabilité. C'est moi qui me suis occupé du projet X et qui nous a fait gagner 100.000 euros l'année dernière. Je travaille dans l'équipe de Didier… » Et là, vous avez rempli votre journée.

Anthony Mahé
Anthony Mahé Ph.D, est sociologue, Associé et Directeur de la connaissance chez Eranos. Chez Eranos, il a en charge la production et la validation de la connaissance, et dirige le CERES, le Centre de Recherche sur l’Entreprise et la Société. Avec son équipe, il a accompagné La Poste BSCC sur la dématérialisation et l’écologie de l’attention, Atlantic sur les modèles de relation client, ou encore Groupama sur l'engagement des collaborateurs. Il est particulièrement investi sur les missions dans le secteur de la bancassurance et en particulier les modèles mutualistes.

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— Arjun Appadurai