Salariés, tous désengagés ?

Seuls 7% des salariés français sont engagés au travail, l’un des pires résultats au monde (Gallup, State of the Global Workspace 2023). Faut-il alors rendre son tablier quand on est un DRH (français) ? Pas forcément.

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Réputé vecteur de succès économique, de cohésion d’équipe, voire de satisfaction client, “l’engagement collaborateur” révèle bien davantage les attentes des entreprises envers leurs salariés que l’inverse. Terme (trop) polysémique, dont les critères (productivité accrue, fidélité, pro-activité, résolution de problèmes, innovation, la liste est interminable) se résument bien souvent à ceux de la performance : il est mesuré, analysé, décortiqué par le biais de sondage, enquêtes et questionnaires en ligne. Pensé comme un outil à destination des managers et DRH, nous renseigne-il vraiment sur ce qu’est l’implication au travail ? Nous permet-il réellement de créer un climat favorable au développement de l’entreprise ?

Le terme “d’engagement” suppose une promesse, le don d’un “gage” : une décision ferme qui lie et oblige la personne vis à vis de quoi ou de qui elle est engagée. Si le salarié est bien lié par contrat à son entreprise, il en va de même pour cette dernière qui doit elle aussi répondre de ses obligations. Par ailleurs, aucun contrat ne stipule que le salarié doit tout mettre en œuvre pour devenir l’employé du mois. Nous préférerons donc le terme “d’implication”, plus neutre et moins “engageant” dans la suite de cet article.

Pourquoi s’impliquer ?

Pour quelles raisons s'implique-t-on dans son travail ? L’implication naît d’un sentiment d’alignement entre notre identité et les possibilités offertes par la fonction ou l’entreprise. La possibilité d’accomplissement personnel : la reconnaissance de ce que l’on fait, pouvoir montrer qui l’on est, la possibilité d’apprendre : d’être porteur d’un savoir-faire, de compétences, d’une tradition à faire perdurer, la possibilité de faire partie d’un collectif : de découvrir et de grandir par la socialisation, la possibilité de trouver du sens dans une utilité sociétale, par le biais de sa contribution à la société ou à une communauté.

Ces 4 dimensions (Personnel, Patrimonial, Relationnel, Sociétal) forment le sentiment (ou non) d’être à sa place, socle d’une motivation sur le long terme. Cependant, même les meilleures motivations ne résistent pas à des “stratégies d’engagement” inadaptées.

Changer l’entreprise avant d’en changer les valeurs

Le premier mythe dont il faut se méfier est que l’implication des collaborateurs découle de la Vision et des Valeurs de l’entreprise. Très conceptuelles, ces guidelines sont souvent éloignées du vécu au quotidien de vos collaborateurs et ne reflètent pas (forcément) le climat organisationnel de votre entreprise. Hors celui-ci est bien plus décisif dans le manque d'implication voire le choix de démissionner (50% des salariés qui ont quitté un emploi citent des problèmes avec leur patron comme raison principale), que la volonté d’être l’entreprise qui rend l’avenir meilleur.

Les valeurs citées par les collaborateurs (respect, communication, reconnaissance) sont bien moins aspirationnelles et tiennent davantage de l’éthique au travail que de la vision d’entreprise. Attention donc à ne pas oublier les fondamentaux. De même que vos engagements RSE ne feront jamais mouche en interne si votre tri sélectif n’est pas respecté, vos valeurs n'auront de sens que dans un cadre de travail ressenti comme bienveillant et respectueux des collaborateurs.

Discipline collective & de fond

Un autre mythe répandu, celui de “l’employé du mois”, selon lequel l’implication au travail découlerait de qualités intrinsèques à l’employé, parfaitement taillé pour le poste, capable de se motiver seul et dans la durée est tout aussi délétère. L’“engagement collaborateur” a encore trop tendance à surinvestir l’implication individuelle au détriment du collectif. La culture de la performance et de la compétition ne fonctionne pas avec tous les profils et tend à émousser les motivations avec le temps. L’implication tient davantage de la dynamique que de l’état de fait, elle fluctue au gré des investissements dans la sphère privée, des évolutions personnelles et des changements au sein de l’entreprise. Sa construction et son maintien passent par le collectif : lorsque des collaborateurs se développent mutuellement, reconnaissent l’apport des autres et collaborent efficacement, l’implication de chacun s’en trouve consolidée, dans une émulation positive.

Voir l’implication de vos collaborateurs comme une course de fond, où l’on se passe le relais à tour de rôle, permet de ne pas distribuer de bons et de mauvais points, stratégie court-termiste, mais de se concentrer sur les dynamiques relationnelles et le climat d’équipe, terreau d’un investissement partagé (même si pas toujours égal) entre collaborateurs.

Du sol au plafond

Enfin, le dernier impensé des politiques d’implication au travail est “l'engagement directeur/manager”. Pendant trop facilement oublié de “l’engagement collaborateur”, les membres du (top) management sont encore trop rares à passer les tests, questionnaires et autres enquêtes. Pourtant, un manager qui perd la passion du métier, un directeur qui n’a plus l’envie de se renouveler, ne sont pas des situations si rares. Une politique de soutien à l’implication au travail ne peut pas se permettre d’ignorer certaines strates de l’entreprise, d’autant plus importantes qu’un style de leadership et de management approprié est primordial pour développer une culture de travail bienveillante et un collectif soudé, socles d’une implication partagée.

Faire tester “l’engagement collaborateur”, entendu comme le moteur de la performance de l’entreprise, en évacuant la question de “l’engagement directeur/manager” c’est déporter la responsabilité des résultats sur les collaborateurs. En estimant par défaut que le (top) management est impliqué, en le tenant à distance du collectif, c’est la question de la réciprocité de l’engagement qui est posée.

Faire de l’implication en entreprise un enjeu (vraiment) collectif, c’est se laisser l'opportunité de trouver des solutions à tous les niveaux, et de tisser des relations de confiance entre les strates de l’organisation.

Réciprocité dans l’implication

Attention donc, à ne pas réduire le sens de l’engagement au travail, au risque de s’enfermer dans une vision catastrophiste, qui briderait les motivations et vos capacités d’agir. Vos salariés ne sont pas (tous) désengagés, ils attendent une réciprocité dans l’implication au travail, ainsi qu’un contexte favorable à son maintien. Si les signes et les formes de l’implication au travail évoluent avec le temps, les fondamentaux à respecter, eux, ne varient que peu. Au management maintenant, de se saisir et de gérer des formes d’implication qui ne demandent qu’à trouver des possibilités de se développer.

Eranos
Eranos est un cabinet de conseil en stratégie fondé en 2005 et spécialisé dans la transformation par la culture. Nous utilisons les sciences sociales pour aider les organisations à se préparer aux évolutions culturelles et stratégiques, à concevoir des stratégies basées sur la valeur et à impliquer leurs parties prenantes dans la réalisation de ces objectifs.

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Le moyen de bâtir une église, ce n’est pas de payer pour la faire bâtir, en tout cas pas avec l’argent d’un autre. Le moyen de bâtir une église ce n’est même pas de payer pour la faire bâtir avec son argent à soi. Le moyen de bâtir une église, c’est de la bâtir.
— G.K. Chesterton, vie de Saint-Francois d’Assise