Pourquoi mon leadership patine ?

Le leadership du dirigeant et la culture de l’entreprise sont intimement liés. Leur relation d’influence réciproque constitue le fil rouge pour définir une gouvernance efficace et pragmatique.

Dans nos organisations, la relation entre le leadership et la culture d’entreprise est à la fois essentielle et complexe. Les dirigeants s’étonnent souvent des incompréhensions qui compromettent les transformations, ou des malentendus qui diminuent la force du récit stratégique.

Si le leader exerce une influence indéniable sur la culture de son entreprise, cette influence est souvent modulée, filtrée, bloquée ou amplifiée par la culture d’entreprise elle-même. Celle-ci joue un rôle de médiateur entre le leader et son organisation. Pour qu’un leadership soit efficace, la compréhension et la maîtrise de cette culture sont donc essentielles.

La culture d’entreprise, un actif impensé

Les leaders agissent sur la culture d’entreprise en définissant et en communiquant des valeurs, des croyances et des objectifs communs (Schein, 2010), par leurs comportements et par leurs décisions, business, organisationnelles ou structurelles. Les actions des leaders, plus que leurs paroles, établissent des normes culturelles et incitent les employés à incarner ces valeurs. Cette culture est aussi largement déterminée par l'histoire de l’entreprise elle-même : son mythe fondateur, ses transformations, ses succès et échecs, la dynamique initiale de son créateur… Elle se nourrit de surcroît d’influences de l'époque et des imaginaires sociaux.

L’objectif : façonner un environnement où la culture et le leadership se renforcent mutuellement

Souvent, la culture d’entreprise est un impensé, un actif immatériel sous-valorisé, et qui apparaît tardivement dans le scope du dirigeant. Elle est laissée à la Direction des Ressources Humaines, dans le champ de la marque employeur. Il arrive même que le dirigeant se pense en dehors de cette culture d’entreprise, alors qu’il l’influence autant qu’elle le façonne en retour.

Pourtant il est essentiel de travailler la culture d’entreprise, non pas comme un simple outil de communication, mais comme un véritable actif stratégique. Ce patrimoine culturel — émanation du dirigeant quand il est le fondateur — finit par dépasser celui-ci, se stratifiant et s’enracinant au cœur de l’organisation. Elle peut avoir plus de pouvoir que lui.

La nature complexe et énigmatique du Leadership

Le leadership est un phénomène mystérieux, souvent mal défini, qui varie selon l’époque, le secteur et le public de l’entreprise. Un bon leader des années 1960 ne serait pas nécessairement considéré comme un bon leader aujourd’hui. Le terme même de "leadership" n’a pas de véritable équivalent en français, reflétant une notion culturellement anglo-saxonne qui peut négliger des dimensions essentielles telles que l’écoute, le charisme ou la sacralité.

Le leadership ne se résume pas à un rôle unique (diriger) mais à une série d’attitudes et de comportements adaptés aux situations qu’il faut mobiliser successivement dans la même journée, que ce soit en tant que décideur, accompagnant ou connecteur. Cette flexibilité est cruciale pour répondre aux besoins variés des collaborateurs, mais aussi pour s’aligner sur la culture d’entreprise. Un leader charismatique dans une culture d’entreprise bureaucratique peut se heurter à des résistances structurelles et culturelles qui limitent son influence.

Followership et culture d’entreprise

Un leadership efficace se mesure aujourd’hui à sa capacité à générer du followership, c’est-à-dire l’adhésion et l’engagement des membres de l’organisation (HLU et Eranos 2023). Il est moins défini par l’action individuelle du dirigeant que par ses effets sur le collectif. La manière dont les publics perçoivent et adoptent les récits, les valeurs, la vision… est partie intégrante du leadership.

Cette relation est donc intermédiée par la culture d’entreprise, qui peut soit renforcer soit atténuer l’impact du leadership. Par exemple, dans une entreprise valorisant l’innovation, un leader encourageant la prise de risques et la créativité sera plus efficace qu’un leader conservateur. De même, une culture d’entreprise toxique, caractérisée par des valeurs de méfiance et de compétition, peut nuire à un followership loyal et engagé, même avec un leader compétent. La culture en est donc l’opérateur clé.

Une démarche d’humilité

Si l’efficacité de la stratégie se fonde sur la capacité de mobilisation et d'engagement, le leader doit donc prendre en considération la culture d’entreprise. Il doit ainsi mobiliser des compétences relationnelles et adopter une posture d’humilité, s’ouvrant à l’écoute et à l’observation de la culture d’entreprise. Il doit être capable de décadrer et de mettre en perspective les dynamiques culturelles pour les utiliser comme levier de pilotage. Christopher Guérin, PDG de Nexans, dit même en ce sens que le dirigeant doit être sociologue. Cette posture permet de comprendre les formes d’engagement avec les parties prenantes, et de façonner un environnement où la culture et le leadership se renforcent mutuellement.

Les leaders doivent s’engager dans une compréhension profonde de la culture de leur organisation et adapter leur style de leadership en conséquence. Par l’objectivation du fait culturel de l'entreprise, par la gestion de ce capital, ils peuvent retisser des liens. Ce n’est qu’en harmonisant leur leadership avec la culture d’entreprise qu’ils pourront mobiliser pleinement leur équipe.

Seul un leadership ouvert et adaptatif, ancré dans une compréhension et une valorisation de la culture d’entreprise, permet de relever les défis de la nouvelle donne socio-environnementale et conduire son organisation vers un succès durable.

Stéphane Hugon
Stéphane Hugon Ph.D est sociologue, Cofondateur et Président d'Eranos, et enseignant à l'ENSCI. Il a accompagné le groupe Pernod Ricard sur les transformations consommatoires autour de la convivialité, LVMH sur le luxe et le sacré, la Recherche de l'Oréal sur des projets d'innovation, ou encore Groupama sur l'engagement des sociétaires. Il est particulièrement investi dans les missions de recevabilité des offres et de réduction des risques sur des investissements dont la variable de succès est l’interculturel.
Sergio De Oliveira
Sergio De Oliveira, diplômé de l’EDHEC est Directeur Général d’Eranos Paris. Chez Eranos, il est Directeur Conseil responsable du développement du cabinet. Il a notamment accompagné La Poste BSCC sur l’écologie de l’attention et le rôle du foyer dans le processus de décision d’achat, la Croix Rouge sur l’appropriation de la nouvelle plateforme de marque de sa filière formation, le Comex du Groupe des Chalets sur sa transformation managériale, le Ritz Paris sur différents aspects lié à la transformation du groupe. Il est cofondateur associé du groupe de conseil en stratégie, Anigma Partners, dont fait partie Eranos.

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