Pour une politique de la reconnaissance

Les entreprises veulent des collaborateurs impliqués, sans toujours créer les conditions leur permettant de se sentir écoutés et reconnus. Comment permettre à chacun de se réaliser par son travail ?

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“Il ne faut pas simplement faire grandir les gens, il faut les aimer” peut-on lire en introduction des vidéos RH sur Linkedin. Si le principe semble juste, sa mise en application systématique est plus incertaine. Comment garantir à tous et toutes un amour inconditionnel dans le cadre professionnel ? Est-ce vraiment une bonne idée ?

L’idée d’aimer son prochain semble toujours l’idéal du comportement envers autrui. Pour autant, il ne suffit pas de la décréter pour que cette culture de l’amour envahisse les locaux de votre entreprise. Peut-être, plus qu’un horizon utopique, ce qu’il faut lire dans l’ambition portée par les RH est un nouveau cadre à l’épanouissement dans le travail. Le gain est réel pour les deux parties. D’un côté, les travailleurs en étant “aimés”, se réaliseraient pleinement dans leur travail. De l’autre, les RH, en transformant le paradigme très administratif de la gestion de carrière, créeraient une nouvelle approche de soin de l’individu, qui revalorise leur métier. Par où commencer ?

Espace de réalisation de soi

Nous entretenons un lien à la fois conflictuel et essentiel au travail. Il est un cadre majeur à notre intégration en société. Et l’une des variables fondamentales à cette intégration est le développement de notre estime de soi. L’identité personnelle est fortement façonnée par la manière dont les autres nous perçoivent : par la reconnaissance qu’on nous manifeste (écoute, feedback, acceptation de la différence, encapacitation), mais aussi par la méconnaissance que nous ressentons (“on ne reconnaît pas ma valeur” ou “on se méprend à mon sujet”).

Une personne ou un groupe de personnes peuvent se réaliser au-delà de leur potentiel s’ils reçoivent de forts gages de reconnaissance. Inversement, ils peuvent subir de vrais dommages, si on leur renvoie en miroir une image distordue d’eux-mêmes.

Nous devons donc nous demander : “comment cette reconnaissance se manifeste au sein de mon entreprise” ? “Est-ce que mon entreprise reconnaît les collaborateurs pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils veulent devenir” ? Et surtout, “Comment je m’assure que cette reconnaissance se manifeste” ?

Retrouver de l’intimité avec ce que nous produisons

Un élément de réponse peut être trouvé dans la mise en place d’une “politique de la reconnaissance”, telle que l’a théorisée le philosophe canadien Charles Taylor (1994), à savoir l'institution de normes et de principes d’action pour permettre la re-connaissance, c’est-à-dire la validation sociale de chacun, par sa contribution à la société.

Initialement, Taylor l’avait conçue comme une réponse à l’injustice et aux discriminations subies par les minorités. Transposée au travail, c’est un moyen de repenser les manières de faire dans le but de tenir compte de la diversité culturelle et des différentes visions du monde. Elle met l'accent sur le dialogue interculturel, la participation de toutes et de tous. Concrètement, c’est un ensemble de pratiques, d’attitudes, de rituels et d’éléments de culture qui produisent un cadre de travail et une posture managériale apportant de la reconnaissance aux collaborateurs.

En instituant une telle politique, le travail sort de sa dimension marchande qui est devenue indésirable. De cette équation “temps contre tâche” qui s’est fixée lors de la seconde révolution industrielle. Il est bien plutôt le cadre de la réalisation sociale de l’individu. Celle-ci prend plusieurs formes : réalisation psychologique pour fonder la valeur de soi, réalisation politique comme moyen de contribuer à l’habitabilité du monde par ce que l’on produit, peut être même une réalisation ludique car l’on peut également penser le travail comme moyen de vivre ses loisirs. En somme, il s’agit de façonner un lien intime avec ce que nous produisons pour conjuguer de nouveau le “comment” et le “pourquoi” du travail.

Déployer une politique de la reconnaissance

Déployer une politique de la reconnaissance dans les entreprises veut dire :

  • Désapprendre. Se déprendre de l’idée : certains ont tort et d’autres raison. Les dirigeants et le management peuvent avoir une vision plus globale de l’entreprise, et une compréhension plus systémique de ses intérêts. Mais quel que soit le lieu à partir duquel on voit l’entreprise, du comptoir d'accueil à la salle du conseil de surveillance, ce qu’on voit, c’est l’entreprise.
  • Écouter. Mettre en place un dispositif d’écoute de toutes les couches de l’organisation. Une écoute ouverte (pas seulement un questionnaire fermé, même si la statistique peut soutenir l’initiative). La tenue d’entretiens qualitatifs génère toujours 2 choses : une collecte de données, mais aussi de la considération pour les personnes (“votre voix compte”).
  • Reconnaître. Le diagnostic peut rendre apparentes des expériences contrariantes de l’entreprise. Elles doivent être reconnues “pour ce qu’elles sont”. Votre entreprise tente de vous dire quelque chose, c’est le moment de piloter au réel.
  • Rendre des comptes. Remercier les participants du dispositif d’écoute. Communiquer sur ce qui sera fait des données rassemblées, donner de la perspective, du retentissement aux voix entendues.
  • Modéliser et agir. Mettre en place un plan de transformation de l’entreprise. Des actions concrètes qui adapteront l’entreprise à l’expérience réelle qu’en font les collaborateurs, répondront à leurs attentes, mettront en place un cadre propice à leur réalisation personnelle.
Eranos
Eranos est un cabinet de conseil en stratégie fondé en 2005 et spécialisé dans la transformation par la culture. Nous utilisons les sciences sociales pour aider les organisations à se préparer aux évolutions culturelles et stratégiques, à concevoir des stratégies basées sur la valeur et à impliquer leurs parties prenantes dans la réalisation de ces objectifs.

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Le moyen de bâtir une église, ce n’est pas de payer pour la faire bâtir, en tout cas pas avec l’argent d’un autre. Le moyen de bâtir une église ce n’est même pas de payer pour la faire bâtir avec son argent à soi. Le moyen de bâtir une église, c’est de la bâtir.
— G.K. Chesterton, vie de Saint-Francois d’Assise