Le mutualisme, modèle qui marche contre vents et marées

Piloter dans la turbulence : savoir s’inspirer des succès et de la singularité des entreprises mutualistes.

Garder la tête froide. Ne pas céder à l’incantation collective. Cultiver une cohérence et un cap lisible. Il semblerait que l’exercice de la gouvernance d’entreprise d’aujourd’hui ressemble à un exercice d’introspection, voire de résistance. Dans un environnement incertain, un agenda économique, politique et géopolitique totalement brouillés, les responsables souffrent d’une solitude décisionnelle. Dans ces situations difficiles, une voie de sagesse consiste à puiser dans la cohérence culturelle de l’entreprise. Exemples avec les entreprises mutualistes.

Le leadership se manifeste pleinement par la capacité à garder la tête froide en situation de crises. Pourtant, dans ce genre de situation, les dirigeants peuvent être influencés par un environnement, une atmosphère. Avec ses mots du moment. Ses tendances organisationnelles.

Les psychanalystes savent bien que donner un nom à une angoisse donne le pouvoir de mieux la maîtriser. Ou, au moins, en avoir le sentiment. Au risque de se détourner de son origine. Qu’importe le flacon, dit le proverbe. Il n’est donc pas rare de voir des décisionnaires s’engouffrer dans une méthode, dès lors qu’elle semble promettre de rassembler — à défaut de résoudre — les difficultés du moment. En réalité, c’est un effet de brouillard de guerre, qui peut être un aveuglement.

Le mutualisme était résilient avant même que le mot n’existe.

A l’inverse de cette sur-réaction à la crise, il existe des modèles qui puisent en eux-mêmes leurs ressources et leur renouvellement. Le modèle mutualiste représente un exemple utile et très actuel de pilotage en turbulence. Bien que souvent perçu comme à contre-courant des tendances dominantes, il s'avère concrètement très performant, et très résistant. Son efficacité repose sur la faculté de ne pas céder aux injonctions du moment, mais plutôt de puiser dans ses sources profondes et son identité centenaire les leviers de son action. Le mutualisme est mal compris et souvent méconnu. Pourtant, il est en réalité en phase avec les aspirations des publics d'aujourd'hui. Ses caractéristiques intrinsèques le distinguent avantageusement des modèles d'entreprise conventionnelles. Par un récit singulier — mais souvent mal connu —, il favorise une dynamique d’engagement affinitaire très forte de ses sociétaires et de ses collaborateurs. Là où de nombreuses entreprises peinent à établir une relation de confiance avec leurs publics, le mutualisme bâtit des liens solides fondés sur une expérience et une culture communes. Sa gouvernance est distribuée, et très efficace. Un système de consultation et de participation aux décisions offre aux sociétaires l’information et un pouvoir de décisions sur les orientations de l’entreprise. Même si la participation est variable, la seule idée de pouvoir voter génère une relation de confiance. Ceci prend un écho particulier dans le contexte français de défiance au regard des institutions.

A l’inverse de la sur-réaction à la crise, il existe des modèles qui puisent en eux-mêmes leurs ressources et leur renouvellement.

Le mutualisme est nativement RSE, et ce, sans avoir besoin de le clamer par tel ou tel label. Il se distingue des entreprises souffrant de l'incantation des certifications ou des difficultés réglementaires comme les Entreprises à Mission par exemple.

Il incarne une économie nativement contributive au niveau territorial. Cette réalité s'oppose à la quête d'application des modèles régénératifs, très prometteurs et prospectifs, mais encore récents dans leurs applications.

Les entités mutualistes offrent une expérience démocratique territoriale concrète, ce qui contraste avec le risque de bureaucratisation du secteur public, ou de la coupure des actionnaires dans le privé, qui peuvent affaiblir la plupart des modèles représentatifs, paritaires ou d’intérêt général.

Enfin, le mutualisme génère engagement et fierté chez ses collaborateurs et ses parties prenantes, là où les modèles conventionnels (privés et publics) sont confrontés au désengagement et au turn-over.

Proche de ce que Léon Bourgeois nommait la “3ème voie”, à situer entre le capitalisme actionnarial que les systèmes publics, le mutualisme se constitue ainsi comme une forme efficace, on dira aujourd’hui résiliente et robuste. Le cas de Groupama illustre bien cette voie. La culture de l’utilité et son historicité ont pesé quand s’est posée la question de la remutualisation de l’entreprise.

Ce patrimoine immatériel a joué un rôle clé après la décision de ne pas entrer entièrement sur le marché coté. Cette volonté, à contre-courant de nombreux acteurs français de la banque et de l'assurance de l'époque, a permis une redéfinition de l'organisation pour pérenniser l'entreprise et garantir l'utilité auprès des sociétaires et la qualité des prestations. Aujourd’hui, la performance de l’entreprise, dans son modèle social comme dans son modèle économique, est pleinement reconnue.

Groupama, une singularité européenne

L'expérience de Groupama met en lumière plusieurs aspects du mutualisme d'aujourd'hui :

  • L'identification de la singularité de l'entreprise : La singularité de Groupama a été identifiée et cultivée comme un actif immatériel. Cette culture est centrée sur des dispositifs relationnels solides (communauté d’élus, instances locales et régionales, monitorage de la qualité du lien et de l’engagement), un récit distinctif et un type d'organisation unique (L’entreprise bénéficie de la première communauté bénévole pour une marque commerciale). Cela fait écho à l'engagement affinitaire et à la gouvernance distribuée, qui sont les piliers historiques du modèle mutualiste.
  • L’entreprise s’assume comme acteur culturel, car elle agit, par ses métiers, sur la nature des relations entre les personnes, leurs aspirations, leurs rythmes et modes de vie, ainsi que sur la confiance en l’avenir. Ces éléments constituent de véritables actifs de l’entreprise, et permettent de cultiver une différenciation au-delà de leur métier initial de l’assurance — qui est par ailleurs très standardisé par la réglementation.

Être mutualiste quand on n’est pas mutualiste

Le mutualisme peut être considéré aujourd’hui comme un modèle d'inspiration qui repose clairement la question de la vocation de l’entreprise, de la définition de sa valeur, et de la nature des relations à ses parties prenantes. Dès lors, toute organisation serait bien avisée de se poser trois questions fondatrices.

D’abord, celle de l'équilibre de sa gouvernance au regard des personnes et des entités impliquées de fait par l'activité de l’entreprise. Ensuite, celle de la redéfinition de sa temporalité et de son périmètre géographique d’impact. Enfin, de sa capacité narrative, en tant qu’acteur culturel inscrit dans un territoire. Il y a ainsi une résonance mutualiste dans des secteurs qui l’ignorent.

Prenons simplement l’exemple des maisons de luxe, qui bien au-delà de leur métier, ont su travailler sur la valeur symbolique et relationnelle de leur activité, et ce auprès de tous leurs publics. Elles empruntent ainsi aux mutualistes, peut-être sans le vouloir, l’idée que les clients sont davantage des mécènes convaincus et impliqués à la valorisation d’une certaine conception de la vie, dans un marché où émerge une économie de la considération.

Stéphane Hugon
Stéphane Hugon Ph.D est sociologue, Cofondateur et Président d'Eranos, et enseignant à l'ENSCI. Il a accompagné le groupe Pernod Ricard sur les transformations consommatoires autour de la convivialité, LVMH sur le luxe et le sacré, la Recherche de l'Oréal sur des projets d'innovation, ou encore Groupama sur l'engagement des sociétaires. Il est particulièrement investi dans les missions de recevabilité des offres et de réduction des risques sur des investissements dont la variable de succès est l’interculturel.

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