Le leadership est cet objet à la fois familier et mystérieux, dont aucun mot français n’a pu véritablement rendre le sens. Il est cette capacité d’une personne à produire une convergence d’actions et de volontés chez d’autres personnes qui reconnaissent au premier une légitimité et une force d'attraction. Le leadership est donc ce fascinant mélange de rationalité et de magie, de puissance intellectuelle et de charisme, de vision et d'éloquence. Le leadership ne se reconnaît pas en amont, il se mesure a posteriori, sur l’effectivité d’une action collective : la réussite d’un projet, une victoire, une aventure collective.
Le millefeuille du leadership
Pour autant, on oublie trop souvent un élément fondamental du leadership : le followership. Est leader celui qui crée du followership. La capacité à mettre en dynamique un réseau de followers constitue ainsi l’essence même du leadership. Elle précède la capacité de trancher une décision qui est davantage une conséquence de cette capacité originelle. Autrement dit, le followership rend possible la prise de décision.
Le leadership n’est donc ni un titre (CEO, Manager) ni un statut (patron, entrepreneur), mais une co-construction d’une relation d’un individu avec un groupe. Cela emporte au moins deux conséquences :
- La première est que le leadership n’est pas un donné. Il est une construction sociale qui se dessine en situation selon un système de conventions, c'est-à-dire un accord tacite entre les acteurs sociaux concernant ce qui relève du bon ou du mauvais leadership.
- La deuxième conséquence est que c’est l’adhésion au leadership qui fait le leader : en ce sens, la meilleure décision sera forcément celle qui sera capable d’embarquer les followers et donc de les impliquer, tout autant que de formuler un horizon à atteindre.
Leadership et engagement au travail
Eranos a conduit une importante étude en France avec la Heart Leadership University (HLU) sur les attentes et représentations des moins de 35 ans concernant les leaders d’entreprise. Quel est leur imaginaire du leadership ? Leur figure d’un bon ou d’une bonne leader ?
Les résultats sont assez éloquents. Le leader idéal n’est pas seulement le héros solitaire capable de guider son groupe vers la réussite. Le leader idéal est aussi celui qui réussit à impliquer ses collaborateurs dans la réussite de l’entreprise. C’est-à-dire à provoquer chez les collaborateurs le sentiment d’être impliqués et reconnus pour leur contribution. Si les aptitudes relationnelles sont jugées indispensables pour être un bon leader (l’empathie notamment pour 60% de l’échantillon), les capacités plus personnelles le sont également (notamment la capacité de vision, indispensable pour 51% des réponses). Le besoin de reconnaissance est par ailleurs un des principaux critères d’engagement au travail relevé dans le State of the Global Workplace 2023 Report réalisé par Gallup aux Etats-Unis. Le sentiment de reconnaissance fait ainsi partie des principaux éléments cités concernant ce qui permettrait d’améliorer les conditions de travail.
Vers un leadership de l’enveloppement
Impliquer les gens dans la réussite d’une entreprise ne se décrète pas uniquement à partir de faits objectifs : une tape sur l’épaule, une récompense matérielle ou un bravo. C’est aussi un récit, traduit dans une relation qui se construit dans le temps (le temps long) grâce à des preuves et de l’empathie. Empathie que l’on peut comprendre comme la capacité, non seulement, à se mettre à la place des autres mais également à “souffrir” avec les autres, à ressentir l’indicible, c’est-à-dire à faire corps avec l’équipe et l’entreprise.
Nous parlons chez Eranos d’un leadership de l’enveloppement, en complément d’un leadership du développement qui suppose, lui, le déploiement des conditions matérielles de la réussite grâce à une vision. Une capacité à rassembler vient donc compléter une fonction de projection. L’adhésion des jeunes Français à l’écoute et à la recherche de cohésion est forte (plus de 60% d’adhésion à ces thèmes), et se combine avec le don de la vision (47% d’adhésion).
Ce que nous pointons dans l’enveloppement, c’est moins le dé-ploiement — la projection — que l’action de “ployer” qui signifie littéralement “arranger, donner une cambrure”, c’est-à-dire intégrer. On retrouve cette idée dans le terme si familier d’ “em-ployer”, au sens de ployer vers l’intérieur et qui a donné le mot, cela ne s’invente pas, “im-pliquer”, du latin implicare qui signifie “envelopper”...
Un parcours sémantique qui donne à réfléchir sur les fondamentaux de l'emploi dont le leadership, en tant que relation de soin, est un vecteur incontournable qu’il convient de bien cultiver. Les jeunes générations semblent ainsi plébisciter auprès des leaders un habile assemblage, presque paradoxal, de soins et d’injonctions.