La “modernité”, qui émerge à la Renaissance et prend son essor au XVIIe siècle avec la “science moderne” et le développement de la “raison”, se caractérise par une rupture avec les traditions et une foi en la capacité humaine à transformer un monde imparfait. Ce tournant se traduit par un recul des explications religieuses et mythiques du réel, remplacées par des approches rationnelles et scientifiques, ce que Max Weber appelle la “démagification du monde”. La modernité instaure un rapport au temps tourné vers l’avenir : le présent devient un tremplin pour bâtir un futur meilleur, en rupture avec un passé souvent perçu comme un obstacle.
La notion de progrès, véritable dogme de la modernité, incarnait cette dynamique. Étymologiquement, le progrès (du latin pro-gradi, “marcher en avant”) impliquait un mouvement linéaire et optimiste vers un état supérieur. Il promettait confort, prospérité et amélioration morale, comme l’idéalisait Condorcet avec son projet de perfectionnement réel de l’homme”. Cette vision s’effondre au XXe siècle. Guerres mondiales et catastrophes technologiques (bombes et camps) brisent l’illusion d’un progrès continu. L’histoire devient subie, marquée par une perte de contrôle et d’espoir collectif. Le progrès n’est plus synonyme d’amélioration.
Ce basculement se traduit par une fragmentation des idéaux : l’obsession pour l’avenir, qu’elle soit marxiste, catholique ou libérale, cède le pas à un réinvestissement du présent. Cette “conquête du présent” (M.Maffesoli, 1979) privilégie l’ici et maintenant et marque une rupture avec l’idéal d’un avenir radieux. C’est pour cela que l’innovation se présente comme une alternative au progrès. Moins ambitieuse sur le plan philosophique, elle s’adapte à un monde fragmenté et incertain. Dépolitisée et pragmatique, elle valorise des changements ponctuels, souvent techniques, sans prétention à transformer l’humanité dans son ensemble, sans vision unifiée de l’avenir. Elle a l’avantage de proposer une autre perspective, où l’on peut trouver un accomplissement de soi dans une manière nouvelle d’habiter le présent, un monde tangible plutôt qu’une promesse incertaine.
Selon Étienne Klein, l’innovation a remplacé le progrès dans nos discours, marquant un glissement notable de nos imaginaires. Des voix s’élèvent aujourd’hui pour requalifier l’innovation dans une optique politique adaptée à la polycrise et un monde fini. Cette innovation qui ne serait pas une finalité mais un moyen de reconstruire un monde véritablement soutenable en répondant aux problématiques et mutations qui traversent nos sociétés, en responsabilité des conséquences des choix opérés collectivement.