Sophie Robert Velut : “Il ne suffit pas de faire un peu moins mal”

La DG Dermo-Cosmétique du groupe Expanscience explique pourquoi le régénératif est le nouvel horizon d’attente des entreprises.

Modélisé par Kate Raworth avec sa théorie du donuts, le régénératif se positionne depuis 2017 comme un nouveau paradigme possible pour l’économie mondiale. Victime de son succès, le terme est pour certain le nouveau nom du greenwashing, alors que, pour d’autres, il permet de redéfinir le rôle même des entreprises.

De manière schématique, le régénératif vise un renversement des objectifs de l’entreprise, qui ne s’affaire plus à produire en réparant quelques effets négatifs choisis, mais à offrir à leur territoire, et aux parties prenantes humaines et non humaines les moyens d’exister durablement. Mais qu’est-ce que cela veut dire, concrètement, dans l’entreprise ?

Eranos : Qu’est ce qui vous a amené au régénératif ? Comme terme et comme promesse d’entreprise ?

S.R.V. : Avec Expanscience on a commencé à s’intéresser aux ODD, les 17 Objectifs de Développement durable définis par l’ONU. Mais le régénératif est réellement arrivé par la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) que l’on a rejoint en 2021. Cette décision de rejoindre la CEC venait d’un double constat : des résultats économiques qui n’étaient pas très bons, notamment en France, et une volonté, une nécessité presque, de radicaliser notre propos — au sens d’aller chercher à la racine quel pouvait être notre impact. Il ne suffisait pas de faire un peu moins mal, on voulait vraiment examiner la nécessité de transformation en profondeur.

En se donnant comme horizon l’entreprise régénérative, cela nous a amené à redéfinir l’idée même de performance. Quand vous faîtes cela, vous revenez assez rapidement sur la raison d’être de l’entreprise. A quoi on sert ? La réflexion arrête de tourner autour de ce que l’on sait faire. On se met à se demander pourquoi on veut continuer d’exister dans 30 ans. Pour engager la transformation vers le régénératif, il faut se demander en priorité : pourquoi votre entreprise serait-elle encore là dans 20, 30, 40 ans dans un monde à +3°C ?

Il faut qu’on se prépare, c’est une question de professionnalisme.

C’est cette question qui amène au régénératif. Si dans 30-40 ans les écosystèmes naturels sont trop endommagés, il faut que le monde humain (et donc l’économie) soit en capacité de réparer ces écosystèmes. Sinon, dans un monde où les écosystèmes sont altérés pour toujours, l’être humain ne pourra pas survivre. Alors que dans un monde altéré provisoirement, on peut au moins continuer de réparer et restaurer les écosystèmes.

Comment donner envie aux entreprises d’aller vers le régénératif ?

Le travail avec la CEC a été un momentum réellement structurant. Avec la guerre en Ukraine, nous avons eu des difficultés d’approvisionnement en huile de tournesols, on s’est rendu compte à quel point nos chaînes d’approvisionnement étaient vulnérables. Nous devons réellement entrer dans un mode de sobriété pour ne pas subir notre avenir. On est allé vers le régénératif non pas parce que c’était bien ou moral mais parce qu’on a compris à quel point c’était naïf et illusoire de croire que la très courte période des 30 glorieuses était un modèle durable, au sens où l’on allait pouvoir continuer à se gaver pendant des décennies.

La CEC nous a permis de prendre le problème par le bon bout. Il y a un aspect méthodologique très fort pour engager toute une entreprise : il faut d’abord que tous les acteurs prennent conscience des limites planétaires, puis de l’urgence à agir. Qu’on soit bon samaritain ou pas, on a pas le choix. Il faut qu’on se prépare, c’est une question de professionnalisme.

C’est encore difficile pour des entreprises cotées de faire ce mouvement, parce que la gouvernance est très diluée. Mais les salariés ont envie d’y aller, et il y a un vrai Fear Of Missing Out qui se propage sur le régénératif. Tout cela va nous aider ! Lorsqu’on a commencé le projet de distribution en vrac, les gros acteurs de notre marché n’ont pas voulu nous suivre. Au bout d’un an, quand le groupe de travail était établi et que le projet avançait, ils ont voulu être des nôtres.

Expanscience a déterminé une feuille de route pour le régénératif d’ici 2035-2040 ; trois grands piliers ont été définis :

  • Respect des écosystèmes, c’est vraiment terra incognita encore pour eux. S’il est facile de voir comment décarboner, comment une entreprise aide-t-elle à régénérer les sols ? Le régénératif, c’est de parfois s’interdire de produire des choses pour être meilleur sur ce que l’on produit déjà.
  • Réinvention des métiers. Par exemple pour les achats, traditionnellement le premier critère est le prix, désormais ce n’est que le troisième.
  • Sobriété du portefeuille : pas de lancement de nouveaux produits s’il n’y a pas de nouveaux besoins, favoriser le multi-usage. En travaillant sur le 0 plastique, ils ont calculé qu’ils pouvaient diminuer de 40% le nombre de camions sur les routes. Faire le choix de la sobriété, c’est proposer des alternatives aux consommateurs : moins d’usage d’eau, éco-recharge et du vrac à la place de l’emballage. Si une de ces trois tendances prend le dessus, ils investiront massivement.
Narjès Mhiri
Après 5 ans passé à la direction de l’innovation de la SNCF, Narjès s’est spécialisée dans l’étude des futurs souhaitables. Diplômée en philosophie, histoire et management de l’innovation à Sciences Po, elle utilise tous ses diplômes pour se poser une question simple : Que peut-on mieux faire ? Membre de plusieurs associations & sportive passionnée, elle aime à réfléchir sur tout sauf sur le talent de l’équipe de France de basket féminine qu’elle aime un point c’est tout.

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— Philippe Descola, anthropologue