Le management sera-t-il à la hauteur des défis des transitions ?

Les transitions de l’entreprise se feront-elles avec ou sans les managers ?

Sea level change, +25cm, 1880-2013. Richard Selwyn Jones

En février 2022, le magazine FastCompany publiait un article au titre provocateur : Do we still need managers? Most workers say ‘no’. Au-delà du contexte post-covid durant lequel les employés ont expérimenté des formes d’autonomie contraintes, sans micro-management, la question des mutations du management reste entière. Et avec elle c’est la capacité de transformation de l’entreprise qui est posée.

Un management en constante évolution

Le rôle du manager dans l’organisation des entreprises a beaucoup évolué depuis l'apparition de la fonction jusqu'à aujourd'hui. Plus que tout autre fonction ou discipline, le management est soumis depuis son invention à une injonction à se réinventer, à se transformer, et de nouvelles itérations apparaissent constamment.

A l’origine, depuis Taylor, le manager est celui qui excelle dans une tâche spécifique, exclusivement professionnelle et qui peut aider les autres à accomplir ces tâches et atteindre cette même excellence. Aujourd'hui, ses autres fonctions (reporting, suivi des projets, opérations…), le nombre de personnes à manager, et la demande de performance de sa direction, l'empêchent d'exécuter sa fonction première et de répondre aux nouvelles attentes des collaborateurs, qui dépassent largement le cadre professionnel.

Des injonctions contradictoires

D’une part, les nouvelles fragilités comme la précarité des compétences, l’éco-anxiété, les motifs familiaux, la perte de sens pénètrent l’entreprise. Chacun aspire à être reconnu dans sa singularité. La saturation des figures du pouvoir et de l’imaginaire de l'expertise depuis les années 90, ont affecté la relation d’engagement des équipes. De manière plus brutale, la crise sanitaire, bien sûr, et le télétravail ont accéléré l'avènement d’une entreprise hors les murs. Les collaborateurs s’organisent, s’auto-gèrent et s’entraident.

D’autre part, les managers se sentent peu soutenus et informés par la couche dirigeante, et sont généralement peu préparés à leurs nouveaux rôles de manager. On devient souvent manager à l’ancienneté sans avoir les qualités et compétences nécessaires. Les aptitudes techniques l’emportent sur les capacités relationnelles et fragilisent les fonctions d’animation et d'engagement.

Alors le manager réplique ce qu’il voit dans l’entreprise, perpétuant des modes de fonctionnement néfastes. En cela, le management n'accompagne plus assez les enjeux de transition des organisations. David Graeber parle de “féodalité managériale”, lorsque les managers produisent eux-mêmes des bullshit jobs qu’ils confient à leurs subalternes.

Les managers ont le sentiment de se retrouver entre le marteau et l’enclume. Face aux injonctions contradictoires, ils développent un “blues du manager”. Diriger une équipe ou monter en grade ne suscite plus autant les ambitions des collaborateurs. Nous sommes face à un hiatus dans l’imaginaire managérial (qui a peu évolué), et sa réalité.

Des rustines au paradigme dominant

Pourtant les managers pourraient être de formidables forces de changement, véritables relais d’informations, chefs de projet et ambassadeurs précieux dans la transition. Leur position privilégiée dans l’entreprise permet de croiser les points de vues et les expertises, et de faire travailler ensemble tous les talents sur les enjeux complexes des transitions. Il s’agit moins de “manager les enjeux environnementaux” que de manager les entreprises pour qu’elles prennent en compte les évolutions socio-environnementales et leurs conséquences multiples.

L’entreprise cherche avidement une actualisation du management pour faire face aux transitions et aux besoins et demandes des collaborateurs, en particulier à ceux des nouvelles générations. Mais plutôt qu’un nouveau paradigme, émerge de fait un mille-feuille de différents modèles, où chaque couche est un patch au paradigme dominant : collaboration, délégation, autonomisation, management par l’empathie, management hybride, etc.

La pratique du moment consiste ainsi à adopter un mode de management participatif, qui favorise l’intelligence collective, la prise d'initiatives, tourné vers l’expression de tous les potentiels, de toutes les diversités, jusqu'à remettre en cause la place même du manager. L’entreprise libérée, le modèle Zappos de management par cercles, par projets, par objectifs, la distribution de responsabilité chez Alan, jusqu’à l’entreprise régénérative d’aujourd’hui, nombreux sont les modèles qui témoignent de ce questionnement managérial.

Un enjeu d’actualisation et d’incarnation

Difficile de dire quel sera le nouveau paradigme de management pour les prochaines années mais certaines idées s’imposent quand il s’agit de décrire un management à la hauteur des défis de la transition. Premièrement, ce management doit être capable d’embrasser le temps long et de penser en dehors de l’urgence imposée par le système actuel. Deuxièmement, le manager devra se reconnecter à une connaissance de son milieu et être capable de mettre autour de la table les parties-prenantes de l’entreprise.

Il faudra qu’il s’appuie en toute confiance sur la diversité des compétences de ses collaborateurs et de ses pairs pour faire face à la complexité des enjeux qui l’attendent. Mais il devra parfois assumer un rôle de leader plus traditionnel (attente encore bien présente chez une partie des collaborateurs) et partager une vision, trancher, prendre des décisions difficiles qu’une situation d’urgence requiert. Va-t-on, comme le proposent certains, vers un éclatement du poste, soit un multi-management où un collaborateur pourrait se référer à un leader visionnaire, un expert technique, un coach, un formateur, un animateur ?

Plusieurs perspectives s’offrent donc au management. Son évolution ne peut pas être menée indépendamment de l’histoire et de l'imaginaire social de l'entreprise et de sa mission. Il est donc nécessaire de passer par une introspection avant de modifier le pacte avec les collaborateurs. Car toute transformation ne peut se faire que si le récit compris et porté par les équipes est incarné par la direction. Et il n’existe certainement pas de management idéal in abstracto, construit de l’extérieur, car le risque de la nouveauté est de rester incantatoire.

Eranos
Eranos est un cabinet de conseil en stratégie fondé en 2005 et spécialisé dans la transformation par la culture. Nous utilisons les sciences sociales pour aider les organisations à se préparer aux évolutions culturelles et stratégiques, à concevoir des stratégies basées sur la valeur et à impliquer leurs parties prenantes dans la réalisation de ces objectifs.

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— Philippe Descola, anthropologue