Améliorer sa performance par la diversité

Le contexte actuel de polycrise — environnementales, économiques, politiques ou sociales — impose aux entreprises de réinventer leurs modèles et d’innover face à des problèmes complexes et interdépendants. La diversité est un gisement de performance économique, mais aussi plus que cela. Quelle(s) valeur(s) la diversité crée-t-elle ?

La tension fondamentale entre l’unité de l’homme et la diversité des expressions humaines s’est trouvée bouleversée par le contexte de la mondialisation qui a accéléré la fréquence des contacts entre les humains en réduisant notamment les contraintes d’espace et de temps.

Dans ce cadre, l’entreprise est un véritable opérateur de cette uniformisation culturelle en mettant en avant une culture de l’entreprise hégémonique. Une idéologie managériale pour répondre au capitalisme financier et au néolibéralisme qui s’impose partout dans le monde : homogénéisation des pratiques professionnelles (standardisation, taylorisme), du langage professionnel (anglais business), des références mobilisées (littérature managériale) pour atteindre plus de productivité, de performance, afin de créer in fine de la valeur économique. Notre faculté humaine à créer de la différence se heurte à cet opérateur d’homogénéisation.

La diversité, prérequis indispensable à la production de valeur économique

Or, la valeur économique créée par l’efficacité productive de cette culture de l’entreprise hégémonique érode, en opérant l’uniformisation de la diversité humaine, les raisons profondes de l’économie humaine : la production de biens et de services, et leur échange. Ainsi, si l’on suit l’analyse de Lévi-Strauss, commentée par l’anthropologue, Emmanuel Terray “pour que l’échange soit fructueux et même tout simplement pour qu’il ait lieu, encore faut-il qu’il y ait des partenaires différents ; des êtres qui seraient en tous points identiques n’auraient rien à échanger.” (E.Terray, 2010, 23-44). Dans ce sens, si l’on réduit la diversité à une homogénéité globale, il n’y aura plus de produit différenciant à échanger ; ainsi, il n’y a pas de création de valeur sans différenciation. En d’autres termes, les effets uniformisant de la culture de l’entreprise auraient donc paradoxalement des effets délétères sur une des raisons mêmes de son existence : la création de valeur économique.

Au-delà de cette raison fondamentale, de nombreuses études surenchérissent sur la corrélation positive entre diversité et performance économique. La récente étude réalisée par McKinsey & Cie montrent que les entreprises diversifiées sont 35% plus susceptibles d’avoir des rendements financiers supérieurs à la moyenne de leur secteur (McKinsey, 2021). Ces études valent ce qu’elles valent. Une chose reste néanmoins sûre : la diversité est un principe d’organisation sociale qui s’avère toujours gagnante.

Pour cela, un petit détour par le monde du Vivant nous permet de voir plus clair. L’observation des intéractions nous suggère que les espèces les plus résilientes et adaptables s’avèrent être celles qui possèdent le réservoir génétique le plus riche et diversifié. Cette diversité du patrimoine génétique permet aux individus et aux espèces de puiser et de choisir les bonnes compétences et aptitudes pour faire face aux changements infinis qui ont lieu dans leur environnement.

La ressemblance du monde du Vivant avec celui des entreprises est à cet égard intéressante. Les entreprises, à l’instar des espèces vivantes, doivent sans cesse se réinventer, innover dans leurs offres de biens et de services, infléchir leurs modèles d’affaires, résoudre des problèmes complexes dans un environnement qui les contraint toujours plus. La clé pour relever ces défis ? Multiplier les perspectives et les compétences pour apporter des solutions adaptées à ces défis multiformes. A cette fin, la diversité est un médium puissant, preuve à l’appui par de nombreuses études en psychologie sociale et en sciences de gestion. Les entreprises les plus diversifiées développent une culture au travail plus saine et plus collaborative, des leaderships alternatifs et puissants, un brassage et un choc d’idées propices à l’innovation, une meilleure compréhension de la diversité des besoins des consommateurs, une plus grande notoriété également qui amplifie les capacités de recrutement et de fidélisation des talents. Autant d’avantages qui sécurisent donc la production de valeur économique.

En somme, dans une entreprise, deux personnes différentes produisent plus et de manière plus efficiente que deux personnes semblables mais elles produisent également une valeur autre que purement économique : le faire-société et le vivre ensemble.

Vers une diversité authentique et créatrice de valeur

Si les entreprises se sont posées assez récemment la question de l’inclusion de la diversité en leur sein, ce n’est pas tant pour son gisement de profitabilité économique mais davantage en réaction aux maux de nos sociétés : l’agitation sociale, les revendications des minorités, la mondialisation avec l’essor des multinationales entraînant la question du management interculturel… qui ont remis au centre de la table des dirigeants d’entreprise une urgence sociale politique et un paradoxe proprement humain : comment (continuer à) créer de l’unité nécessaire à la pérennité de l’entreprise, tout en s’appuyant sur la diversité comme gisement de valeur fragile ?

La question de l’inclusion de la diversité en entreprise semble antithétique avec une de ses fonctions sociales : l’homogénéisation d’une pratique multiforme telle que le travail. Bien que les entreprises soient elles-mêmes diverses entre elles, elles demeurent tout de même des machines à lisser les différences et à évacuer la possibilité d’une diversité de singularités. Ainsi, les entreprises doivent se garder d’uniformiser les éléments divers qu’elles abritent, d’installer une véritable culture de l’inclusion et de trouver le juste équilibre entre l’acceptation de l’altérité sans pour autant se confondre dans la fusion de l’un dans l’autre pour que les échanges produisent de la valeur.

C’est donc en miroir de l’histoire des sociétés humaines que l’entreprise se doit de renouveler sa manière de créer de la valeur. Pour aller au-delà des discours convenus sur la performance, les entreprises doivent reconsidérer leur rapport à la diversité. Celle-ci ne doit pas être simplement un élément à cocher dans une stratégie RH ou une opportunité de communication. Elle doit être perçue comme un principe fondamental, indispensable à la création d’une valeur à la fois économique, sociale et humaine.

Ainsi, loin de s’opposer, la gestion de la diversité et la recherche d’une identité organisationnelle unifiée peuvent se renforcer mutuellement. En valorisant la différence, non comme un écueil à surmonter mais comme une richesse à cultiver, les entreprises peuvent non seulement relever les défis de notre époque, mais aussi devenir des vecteurs d’inspiration et de transformation pour la société dans son ensemble.

Hilal Kozan
Hilal Kozan est consultante senior en stratégie et organisation. Diplômée de Sciences Po Paris et formée à la prospective à l’Institut des Futurs Souhaitables, elle s’intéresse aux nombreuses transitions à l'œuvre et accompagne les organisations pour mener à bien les grandes transformations qui s’imposent à elles. Elle a notamment accompagné le Ministère de l’Economie et des Finances dans la refonte de sa fonction accueil, a co-construit le projet de laboratoire d’innovation de plusieurs organisations et a participé à l’élaboration du plan stratégique d’un groupe paritaire et social. Hilal est passionnée par la création de nouveaux modes d’organisation et de fonctionnement et est convaincue de la force de l’intelligence collective.
Jean-Baptiste Blin
Jean-Baptiste est anthropologue, diplômé de l’Université Paris-Nanterre d’un master en Ethnologie, il est actuellement Consultant chez Eranos pour arpenter un nouveau monde : celui des organisations. Fondamentalement intéressé par la manière dont les hommes engagent des relations avec la nature, la technique, et la matière, il s’interroge aujourd’hui sur le rôle de l’entreprise dans ces interactions.

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"A woman who isn’t afraid of men scares them," a young man once told me.
— Simone de Beauvoir