Le transport n'est pas une fonction de la ville, c'est une expérience.

Dans le voyage le décor change l'homme, dans le déplacement, le décor change mais l'homme reste le même.

Une des promesses majeures de la modernité occidentale est le voyage, ou plutôt, les facilités de déplacement. Car si le voyage suscite d’emblée la question de la rencontre et de l’altérité, ces extériorités qui viennent modifier le voyageur dans son identité et dans son âme, le déplacement n’est lui qu’une manière de se confirmer ailleurs, de s’exporter en l’état. Comme une expansion du même soi. Dans le voyage le décor change l'homme, dans le déplacement, le décor change mais l'homme reste le même.

Les deux expériences peuvent donc se définir de manière presque opposées, mais l’on confond pourtant souvent l’une avec l’autre. Le XXème siècle a poussé très loin l'idéal de la continuité dans le déplacement : continuité de l’état, continuité du droit et de la science. Tout devait être fidèle et identique. L’ailleurs y était une friche a révéler, et les moyens de transports consistent à transformer en familier ce qui est exotique.

Contemplation du paysage horizontal, on cherche à s'installer dans l'entre-deux des plis du monde, à profiter du moment.

Dès lors les technologies du transport ont largement développé cette dynamique. Victor Hugo déjà considérait que le chemin de fer proférait une forme de violence en isolant le voyageur de l’air des campagnes qu’il traversait. Les moyens de transport modernes sont ceux qui tendent à rapprocher toujours plus le départ de la destination, avec un déni de la durée - fluidité, intermodalité.

Remuer change

Et pourtant, après presque cinquante ans de TGV, la question de la vitesse s’est déplacée. Elle n’a plus la même valeur. On redécouvre l’instant, la durée, une esthétique de la lenteur — le train comme introspection, comme moment de suspension. Contemplation du paysage horizontal, on cherche à s'installer dans l'entre-deux des plis du monde, à profiter du moment.

C’est le retour de l’expérience du voyage en soi. Détaché de la finalité et de la destination, où c'est l'homme qui change et le paysage qui le lui rappelle. Le voyage paradoxal, c’est celui qui permet au voyageur de se réenraciner avec l’espace traversé, mais de manière inédite. Un voyage qui sédentarise.

C’est le retour de l’expérience du voyage en soi. Détaché de la finalité et de la destination, où c'est l'homme qui change et le paysage qui le lui rappelle.

Ainsi, les trams des déplacements urbains se dotent de baies plus larges, afin de devenir des écrans de redécouverte du paysage urbain. Le tram propose alors l’expérience d’un espace partagé, il reconnecte l’habitant avec son territoire. Un situationisme devenu culture populaire, et qui oblige les opérateurs de transport à devenir opérateurs de socialité, de médiation territoriale, de mémoire collective, et ouvre donc à tous les champs du digital, et de la socialité.

Si l’imaginaire du voyage se déplace, cela signifie que l’économie du transport se transforme. Et que les opérateurs de mobilité devront très vite se considérer comme concurrent avec les métiers de la convivialité, de l’entertainement ou des services à la personne. Le concurrent de Renault, c’est Nike ou Monoprix, car il se disputent la promesse de la ville, où le déplacement n'est pas une fonction mais une expérience.

Michaël V. Dandrieux
Michaël V. Dandrieux, Ph.D., est sociologue et co-fondateur d'Eranos. Depuis 20 ans, il accompagne les dirigeants de toutes les industries : futur des soins avec Pierre Fabre, transition de Chloé vers une gouvernance par les parties prenantes, engagement des travailleurs chez Nexans, culture d'Air France face au COVID, valeurs de convivialité de Pernod Ricard, et confiance des femmes avec L'Oréal USA. Issu de la tradition de la sociologie de l'imaginaire, il enseigne à Sciences Po Paris au sein de l'Ecole du Management et de l'Impact et siège dans plusieurs Conseils d'Administration et Comités de Mission.

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— Tadao Andô, architecte