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La guerre est-elle le lot de l'homme?

James Nachtway est un photographe de guerre que vous connaissez sans doute du fait du documentaire de 2001 qui porte en titre son métier. Nachtway expose en ce moment à la MEP à Paris, et il n’est pas impossible que, si vous rendiez visite à ses images, vous voyiez quelqu’un pleurer.

La guerre est la première chose que nous avons fait « tous ensemble ». Le premier événement mondial date de 1914.

Les Grecs pensaient que la guerre est le "lot de l’homme", c’est-à-dire qu’elle est inséparable de la civilisation. Nachtway, au contraire, affirme que c’est dans l’intérêt d’un groupe particulier de gens, et non de toute la population, que de perpétuer la guerre. Qu'elle n'est pas le lot de tous les hommes, mais d'une certaine communauté, dans certaines conditions.

Afin de perpétuer la guerre, ce groupe particulier doit escamoter la réalité de la guerre. Son expérience réelle doit être communiquée par euphémisme. Le "nettoyage ethnique" traine avec lui une certaine possibilité du propre. Les "dommages collatéraux" laissent entendre que des vies perdues l’ont été afin d’atteindre un but supérieur.

L’expérience réelle de la guerre, elle, compte des choses telles que l’atrocité visuelle, le sentiment de l’absurde et du kafkaïen, les multiples conditions non naturelles et inacceptables (le viol, enterrer son enfant, devoir tuer un inconnu pour ne pas mourir) ou encore la banalisation du sentiment d’impunité.

Comme CG Jung, James Nachtway considère que seule une expérience intime, proche ou plongée dans le religieux, peut être à même de modifier la forme profonde des consciences. C'est l'argument de Jung qui a servi de pierre angulaire à la fondation des Alcooliques Anonymes, et la raison pour laquelle les AA entretiennent un profond entrelacement avec la pratique chrétienne. C’est la raison pour laquelle Nachway photographie.

Chaque photographie est une occasion de refuser ou de questionner les autres manières par lesquelles parviennent à nos pays en paix les echos de la guerre. Nachtway cherche à exposer des vérités partielles auxquelles nous avons accès, et à les substituer par des expériences intimes. Par cette photographie argument du rite de communion, nous nous souvenons que la distance qui sépare les rwandais du génocide et les habitants du Marais est fortuite.

(La photo de natchway est pourtant exempte de misérabilisme. La commisération et la pitié ont besoin que nous puissions généraliser, abstraire et nous abstraire. Ici, cela semble péniblement possible, car Natchtway engage son corps entièrement dans les scènes qu’il traverse, au point que sa présence devienne une question éthique.)

Par le truchement de l’expérience esthétique, intime, totale, l’image (cette métaphysique instantanée) cherche avec ses couleurs, avec sa proximité de la mort, à provoquer le sentiment de l’empathie : la reconnaissance et le partage intérieur, physique, de la souffrance individuelle d'autrui.

(C’est le parti pris inversé par exemple à la photographie evocative de Francesca Woodman, qui cherche à entretenir ou à peupler le mystère du monde)

Souvenez-vous de ce qu’a dit Emerson (c’est Borges qui parle) : les arguments ne convainquent personne. Ils ne convainquent personne parce qu’ils sont présentés comme des arguments. Alors nous les regardons, nous les pesons, nous les retournons et nous décidons que nous ne sommes pas d’accord avec eux.

Le travail photographique est une sociologie. Il montre la vie en acte, les corps inconscients d'eux-mêmes, les pratiques non verbalisées.

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