Le e-commerce, relais de la démocratisation de la culture

Amazon ou la librairie de quartier, les consommateurs ne veulent pas choisir : ils veulent avoir la possibilité de composer avec ces deux espaces (physiques et Internet). Au final, ils en sortent gagnants... et la culture avec eux !

Le e-commerce peine décidément à obtenir ses lettres de noblesses dans notre économie. Bien sûr, personne ne peut raisonnablement contester le succès de la consommation en ligne. Avec une croissance trimestrielle de 11%, et 28 millions de Français qui ont fait leurs courses de Noël cette année sur Internet d'après les derniers chiffres établis par la Fevad (1) - dont 99% d'e-acheteurs satisfaits de leurs achats !, le plébiscite des consommateurs pour ce canal d'achat est manifeste (2).

Des commentaires alarmants et accusateurs ne cessent de clamer la menace qui pèse sur le commerce traditionnel, la perte de certaines valeurs... ce qui ressemble davantage au reflet de l'angoisse d'un monde qui change

Pourtant, comme toute révolution, celle du numérique a aussi ses détracteurs et ses réactionnaires. Depuis le début du succès du phénomène e-commerce, des commentaires alarmants et accusateurs ne cessent de clamer la menace qui pèse sur le commerce traditionnel, la perte de certaines valeurs... ce qui ressemble davantage au reflet de l'angoisse d'un monde qui change. Les analystes sérieux ont pourtant bien noté que, définitivement, le e-commerce n'est pas l'ennemi du commerce traditionnel. De plus, comme le souligne Marc Lolivier (3), délégué général de la FEVAD, les acteurs traditionnels de l'offre ont bien comblé leur retard en matière de vente en ligne. Le succès du Web to Store par exemple plaide plutôt pour une combinaison gagnante entre le commerce physique et le commerce en ligne. Ajoutons que les pureplayers n'ont pas tous survécus, loin s'en faut, et que le marché commence à se concentrer sur quelques grands acteurs du e-commerce.

Après avoir consumé nombre d'arguments sur le front économique (emploi, fiscalité, entre autres), la fronde anti e-commerce s'organise désormais sur le front culturel, les opérateurs on-line - Amazon en tête, apparaissant comme des fauteurs d'uniformisation et des fossoyeurs des industries culturelles dites traditionnelles.

Il est vrai que les produits culturels sont un des fers de lance du e-commerce avec une part de marché d'environ 21% du commerce en ligne, sachant que le secteur e-marchand représente 5 à 6% du marché total du commerce de détail. 51% des internautes ont acheté au moins un produit culturel en ligne, et les produits culturels ont représenté plus de la moitié des e-achats de Noël cette année. Un succès qui inquiète certains observateurs.

N'est-ce pas là une formidable nouvelle pour ceux qui s'inquiétaient jadis du désintérêt des Français pour la lecture et de l'accès à la culture pour tous?

Tout d'abord, d'un point de vue sociétal, n'est-ce pas là une formidable nouvelle pour ceux qui s'inquiétaient jadis du désintérêt des Français pour la lecture et de l'accès à la culture pour tous ? Si cela ne va pas résoudre toute la problématique de la démocratisation de la culture, on perçoit difficilement en quoi cela s'y opposerait. Depuis Malraux, le projet de rendre accessible la culture à toutes les couches de la population et dans toutes les contrées de France a toujours été le leitmotiv des politiques culturelles. Les acteurs du e-commerce présentent sans conteste l'avantage d'une plus grande accessibilité géographique à la culture. Tout le monde n'a pas à côté de chez soi une librairie de quartier ou un disquaire. La difficulté que connaissent de nombreux centre-ville à maintenir une dynamique commerciale ne va pas aider à l'affaire. En ce sens, il s'agirait peut-être de considérer ces acteurs comme des relais potentiels de la diffusion de la culture dans un contexte où les politiques publiques, contraintes économiquement, sont également à bout de souffle.

Pour autant, certains consommateurs vont trouver plaisir à se rendre chez un libraire indépendant, en quête d'authenticité et pour y partager le plaisir de la littérature avec un professionnel passionné et fin connaisseur.

Ensuite, le succès de la consommation de biens culturels sur Internet est avant tout une question d'usages et de logiques d'action des consommateurs. Ces logiques peuvent être économiques, la recherche du prix juste par exemple, mais cela va au-delà. Les sites e-marchand s'inscrivent dans une tendance qui valorise la mise en réseau des consommateurs, d'une société horizontale qui n'aspirent plus à se laisser dicter sa conduite par les experts, les marques ou les institutions. La technologie du Web offre de nouvelles façons de consommer, d'évaluer les produits, de les conseiller ou de les critiquer. Elle offre de nouveaux repères en phase avec une société qui s'est émancipée de la logique paternaliste. Pour autant, certains consommateurs vont trouver plaisir à se rendre chez un libraire indépendant, en quête d'authenticité et pour y partager le plaisir de la littérature avec un professionnel passionné et fin connaisseur. Certains vont rechercher exclusivement l'une ou l'autre de ces expériences d'achat et d'autres, au contraire, vont passer de l'une à l'autre, selon les moments, le temps disponible ou tout simplement leurs humeurs.

Amazon ou la librairie de quartier, les consommateurs ne veulent pas choisir : ils veulent avoir la possibilité de composer avec ces deux espaces (physiques et Internet), ces deux expériences complémentaires qui leur offrent la possibilité d'une cohérence avec leur mode de vie. Au final, ils en sortent gagnants... et la culture avec eux !

Anthony Mahé
Anthony Mahé Ph.D, est sociologue, Associé et Directeur de la connaissance chez Eranos. Chez Eranos, il a en charge la production et la validation de la connaissance, et dirige le CERES, le Centre de Recherche sur l’Entreprise et la Société. Avec son équipe, il a accompagné La Poste BSCC sur la dématérialisation et l’écologie de l’attention, Atlantic sur les modèles de relation client, ou encore Groupama sur l'engagement des collaborateurs. Il est particulièrement investi sur les missions dans le secteur de la bancassurance et en particulier les modèles mutualistes.

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