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Le e-commerce, visage social de la révolution numérique

L’économie numérique, loin d’être «virtuelle», a bel et bien les pieds sur terre, et la dynamique de transformation du paysage de la consommation est plus complexe qu’il n’y paraît.

A en croire la littérature académique ou médiatique qui commente à tout-va la «dématérialisation» des échanges, Internet serait une économie gazeuse, déconnectée du concret. La révolution numérique pose question, et avec elle le phénomène e-commerce, accusé de détruire l’emploi en France et de mettre en péril le commerce traditionnel.

Il faut dire qu’Internet bouscule depuis deux décennies notre imaginaire collectif. Avant même le boom du e-commerce, notre intelligentsia s’alarmait déjà de la perte de lien social «réel» face à l’émergence des blogs, des forums, puis des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter. Or, cette inquiétude ne tient pas compte des profonds processus de socialisation qui sont à l’œuvre.

❝ C’est une constante dans l’histoire de notre civilisation que de suspecter tout nouvel arrivant dès lors qu’il ébrèche des certitudes établies.❞  

C’est une constante dans l’histoire de notre civilisation que de suspecter tout nouvel arrivant dès lors qu’il ébrèche des certitudes établies.

Rappelons que dans l’économie antique (au sens entendu par Pierre-Vidal Naquet[1], le «forain», figure emblématique du commerçant, est étymologiquement «l’étranger qui vient du dehors». Dans une société où prime l’agriculture, ce commerce «du dehors» vient perturber un ordre fondé sur le foncier et la famille. Plutarque mentionne même qu’il est plus noble de s’enrichir en pillant une terre ennemie qu’en s’adonnant au commerce!

Le temps passe, mais les structures de l’imaginaire subsistent. Le commerce est resté à travers les âges marqué de cette image ambivalente, nécessaire mais suspect. Aujourd’hui, c’est au tour de l’e-commerçant, dernier arrivé venu d’un monde encore «nouveau», d’endosser le rôle.

❝ Le temps passe, mais les structures de l’imaginaire subsistent.❞  

Son acceptation dépend d’un processus d’acculturation qui prend, nécessairement, du temps. Car l’émergence du e-commerce dans nos sociétés n’est nullement «déconnectée» de la réalité sociale. Elle s’enracine dans un terreau de mutations de société radicales: la sensibilité au prix d’abord, dans un contexte où la crise du pouvoir d’achat se superpose à un désir de consommation toujours plus accru, mais aussi l’accélération du temps, que décrit très bien le sociologue Hartmut Rosa[2] et qu’illustre une étude récente de l’ObSoCo (près de trois quart des Français désignent le manque de temps comme première difficulté d’organisation au quotidien).

C’est en phase avec ces tendances de société profondes que se déploie l’achat sur Internet.

Pour autant, malgré un e-commerce au beau fixe, les Français affectionnent toujours autant le commerce physique, comme le rappelle l’économiste Philippe Moati[3]. Mais plutôt que de les cantonner à l’opposition, posons la question des convergences entre ces deux formes de commerce.

❝ Malgré un e-commerce au beau fixe, les Français affectionnent toujours autant le commerce physique,❞  

On voit des commerçants traditionnels s’ouvrir au monde numérique, les plateformes de vente en ligne offrant la possibilité de toucher à moindre coût des milliers de nouveaux clients. On en voit d’autres devenir «point relai» du cyberachat, occasion supplémentaire d’attirer des consommateurs potentiels dans sa boutique. On voit aussi le e-commerce redonner une certaine vitalité au tissu économique local, déposant à la porte de consommateurs qui habitent en zone rurale ou isolée une diversité autrefois inimaginable de produits et de références, ou créant des emplois via des chaînes logistiques nouvelles de l’empaquetage à la distribution sur place (Amazon par exemple a ouvert en France quatre centres de distribution et emploie plus de 2.000 salariés permanents en France).

Bien sûr, le bilan net de la création d’emploi du e-commerce est un chiffre âprement discuté, et on peut interroger la pénibilité ou la précarité de certains postes. Pour autant, même si elles ne sont pas facilement mesurables, il serait vain de nier les externalités positives du secteur sur le reste de l’économie. Les distributeurs du Net contribuent par exemple à la vitalité de «vieilles dames» comme La Poste: son activité de colis express a crû de 7,3%, en 2012 précisément grâce au commerce en ligne.

❝ L’économie numérique, loin d’être «virtuelle», a bel et bien les pieds sur terre.❞  

L’économie numérique, loin d’être «virtuelle», a bel et bien les pieds sur terre, et la dynamique de transformation du paysage de la consommation est plus complexe qu’il n’y paraît.

Il faut cesser de regarder l’économie, et a fortiori l’économie numérique, comme désincarnée: ce sont des transformations sociales de fond qui conduisent les changements à l’œuvre dans le commerce ou la distribution. Il est vain de s’accrocher à un passé idéalisé: dans la situation économique actuelle, il est plus urgent de tirer le meilleur de la révolution commerciale en cours en identifiant, au-delà de ce qui se détruit, les troisièmes voies et les nouvelles synergies créatrices de valeur.


Anthony Mahé

Anthony Mahé Ph.D, est sociologue, Associé et Directeur de la connaissance chez Eranos. Chez Eranos, il a en charge la production et la validation de la connaissance, et dirige le CERES, le Centre de Recherche sur l’Entreprise et la Société. Avec son équipe, il a accompagné La Poste BSCC sur la dématérialisation et l’écologie de l’attention, Atlantic sur les modèles de relation client, ou encore Groupama sur l'engagement des collaborateurs. Il est particulièrement investi sur les missions dans le secteur de la bancassurance et en particulier les modèles mutualistes.

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