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Celebration

La victoire répare la société

La France est championne du Monde de football, le peuple exulte, la victoire est au rendez-vous de l’Histoire. Mais qu’est ce que cela veut dire “gagner” ? Quel est le rôle social de la victoire ?

Photographie Eugénie Senlis

Le triomphe

L’étymologie du mot victoire (du latin vincere, vaincre) nous rappelle l’origine militaire et guerrière du triomphe d’un groupe sur un autre, d’un peuple sur un autre. Dans les jours qui vont suivre, nous allons collectivement et médiatiquement construire un mythe qui racontera l’histoire extraordinaire des héros qui ont su prendre le dessus sur leurs rivaux. Ils sont désormais glorifiés et déracinés du commun des mortels sur leur piédestal. C’est cela le premier sens de la victoire : prendre le contrôle et prendre la lumière.

Mais la victoire ne peut pas être un fait de l’individualisme : on gagne contre un camp, et cette victoire doit être "reconnue" : c’est moins le triomphe qui est important que le rituel collectif qui est à l’œuvre de façon sous-jacente dans les festivités qui entourent la victoire. La célébration de la victoire par l’abandon temporaire à l’hystérie, les cris, les pleurs, les chants à l’unisson… tout cela dépasse de loin le football qui en est une forme contemporaine. C’est le ventre du peuple qui se donne à voir.

Le ventre du peuple

Ce mythe, le mythe du ventre du peuple, qui raconte les euphories, les passions, les émotions, l’animalité... est tout aussi, sinon plus fondateur que l’émotion de la victoire. La victoire concrète (celle de l'équipe, faite de buts et de hors-jeux) permet la manifestation de la victoire collective (qui ameute dans le corps social ceux qui n'ont fait que regarder, et ceux qui ignorent tout de la règle du hors-jeu). C’est le sens anthropologique que l’on peut attribuer à la célébration. Dans une société fragilisée par la compétition économique, le terrorisme et les faits divers dramatiques, une victoire en coupe du monde est une contingence nécessaire. Le fait que telle équipe ait véritablement gagné telle coupe, autorise la société à se rassembler dans un lieu commun, de manière magico-religieuse. Les « affoulements » de fans, comme le notait Michel Maffesoli, sont l’expression sociologique d’une cérémonie qui, sous un apparent chaos n’en sont pas moins normés, et structurants d’un sentiment d’appartenance. Le trophée de la victoire n’est donc pas que le symbole du parcours de l’équipe de France, c’est aussi une sorte de totem qui permet à un collectif de se (re)connaître, de se retrouver, de s’imiter. C’est cela que le fondateur de la sociologie Emile Durkheim appelait la solidarité mécanique : un lien social fondé sur le partage des émotions qui vient compléter la solidarité organique, le lien social fondé sur la « division du travail », la base d’une société hiérarchisée. Toute société a besoin de se régénérer par moment, de chasser les mauvais esprits, de s’inscrire dans un cycle. De nombreux rituels, dans toutes les cultures, ont cette fonction cathartique. Et c’est cela le sens profond de la victoire : une occasion d’équilibre.

Pas de promesses de lendemain qui chantent

Il est déjà tentant d’ériger cette victoire de l’équipe de France en symbole de l’union sacrée, d’imaginer que l’on va dépasser les clivages ethniques et les tensions autour de l’immigration. De Georg Simmel à Julien Freund, on sait qu’une société se construit aussi sur le conflit et les rivalités. Les médias sont la plus vive expression de cette tension. La victoire touche la société dans son ensemble. Y participent aussi ceux qui la nient, ceux qui la ridiculisent, ceux qui la vomissent. Elle oeuvre ainsi comme une dépense, une brèche dans la réserve d’énergie de la société. Les polarisations, les récupérations, les vocations créées, les déceptions, les liesses, les saccages, les emphases, et les images de communion qui se construisent sur la victoire ne sont pas le fait d’individus isolés : ils sont des modes de l’être-ensemble. L’existence de chacun n’est jamais aussi forte que lorsqu’elle est intensifiée par la présence de l’autre.

Anthony Mahé, Mexico City, 15 juillet 2018.


Anthony Mahé

Anthony Mahé Ph.D, est sociologue, Associé et Directeur de la connaissance chez Eranos. Chez Eranos, il a en charge la production et la validation de la connaissance, et dirige le CERES, le Centre de Recherche sur l’Entreprise et la Société. Avec son équipe, il a accompagné La Poste BSCC sur la dématérialisation et l’écologie de l’attention, Atlantic sur les modèles de relation client, ou encore Groupama sur l'engagement des collaborateurs. Il est particulièrement investi sur les missions dans le secteur de la bancassurance et en particulier les modèles mutualistes.

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