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Celebration

Football et effervescence sociale

La fête du football ne doit pas seulement être envisagée du point de vue des dispositifs de sécurité mais comme une formidable occasion de rassembler.

Le football doit cesser d'être regardé de haut

Le football a beau être le sport le plus populaire de la planète, il connaît bien souvent le mépris des élites intellectuelles. Par ricochet, l'image sociale du football demeure ambivalente. Est-ce seulement un spectacle bon à "abrutir les consommateurs de masse" ou existe-t-il vraiment une authentique magie du football ? L'opposition traditionnelle entre culture dominante et culture dominée, culture et sous-culture, est une réponse trop courte qui ne peut satisfaire. Certes, le football est un sport dont les règles sont simples et appréhendables par la majorité des gens. De ce fait il est, en un mot, universel. N'importe où dans le monde, avec un ballon en cuir ou une simple boîte de conserve on peut "jouer" au football. Cela facilite la capacité du plus grand nombre à s'approprier cette discipline à la fois sport, jeu, loisir et profession. Mais cette simplicité n'implique pas pour autant une forme de vulgarité. Il y a plus que cela dans le football : il y a des valeurs.

❝ Le football a beau être le sport le plus populaire de la planète, il connaît bien souvent le mépris des élites intellectuelles. ❞  

Tout d'abord, le football s'enracine dans le quotidien des Français, dans les quartiers, dans le "local". C'est ce qui assure sa permanence. On soutient "son" équipe, en général celle de "sa" ville. La Ligue 1 et la Ligue 2 contribuent bien plus qu'elles ne le pensent à l'adhésion et au sentiment d'appartenance d'un nombre considérable de personnes à "leur" territoire. A la maison, familles et amis visionnent ensemble les matchs à la télévision. Mais pas seulement. On se raconte les récits de l'épopée fantastique d'une équipe de France de 1998, ou pour les plus anciens d'un Brésil des années 1970 ou encore, plein de circonspection, d'un penalty manqué par Platini en quart de finale du mondial de 1986. C'est chez soi qu'on décrit le geste fabuleux d'un Zidane, Messi ou Kopa comme on commenterait le geste d'un Renoir ou d'un Francis Kuster. Chez soi que l'on refait le match, que l'on échange sur les stratégies qu'on aurait adoptées à la place de l'entraîneur en faisant entrer tel joueur plutôt que tel autre, en le positionnant à tel poste.

❝ Est-ce seulement un spectacle bon à "abrutir les consommateurs de masse" ou existe-t-il vraiment une authentique magie du football ?❞  

L'espace du foyer se prolonge dans le quartier, au bureau, dans les bistrots, sur les comptoirs en zinc du savoir footballistique. Car il y en a du savoir : historique, stratégique, technique, critique. Ce savoir circule, de génération en génération, dans les cours d'école, dans tous les lieux familiers. Tous ces endroits sont des vivoirs réflexifs de la "culture foot".

Quand arrive l'heure des grands événements – une finale, une coupe du monde – chaque supporter est en ébullition. Ce sont des instants proprement magiques. Des instants où une nouvelle page de la mythologie va s'écrire. Une nouvelle légende va naître, un nouveau geste va graver les mémoires pour les années à venir. Quelque part, chaque fois c'est la même chose, sauf que l'émotion qui recouvre cet événement ne s'use jamais, elle se régénère et en même temps, telle une spirale, elle nourrit, modestement mais vraiment, la solidarité sociale.

Certains diront que cette solidarité dans l'effervescence des victoires, comme des défaites, est éphémère et illusoire. Mais finalement, qu'est-on censé attendre de plus que cela ? Ou plutôt a-t-on vraiment mesuré l'importance de cela ? Le propre de certains rituels magico-religieux dans une tribu amazonienne, par exemple, est de chasser les mauvais esprits pour préserver et renforcer la cohésion du groupe. Pour que cela "marche", il faut répéter tous les jours le même rituel, selon une codification très rigide, c'est le principe même d'un rituel : un éternel recommencement.

Derrière chaque match, c'est une nation qui se soude, une ville, un quartier. Ce qu'il y a de plus étonnant dans nos rituels du football, c'est que, finalement, c'est peut-être un véritable acte politique et démocratique qui est à l'œuvre.

Une culture bénéfique, positive et rassurante

La démocratie participative, que l'on se plait à vanter, est un bien vain mot car, en réalité, il n'y a qu'une démocratie représentative et il ne saurait en être autrement. L'administration de la nation comme des collectivités locales tient en une délégation de pouvoir à une poignée de dirigeants qui représentent le peuple. Dans le football, au contraire, il y a de la participation au sens propre du terme, on vibre en commun depuis le stade jusqu'au bar qui diffuse le match et dans les foyers. C'est peut-être le seul moment où la vie de la cité (poli-tique) est une démocratie participative, parce qu'un match commence avant le premier coup de sifflet et se termine bien après le dernier. Le football ne se conçoit pas sans la fête qui l'entoure puis par son inscription dans la mémoire collective. Nietzsche dit que la fête a pour fonction de réparer une société. Sous l'apparent chaos des festivités, se joue en réalité la cohésion de la communauté, on chasse les mauvais esprits en cristallisant, un court moment, une similitude. On est tous pareils et un seul langage universel transcende le tout : les cris (de joie ou de tristesse). C'est là, dans cet embrasement collectif, que se joue la magie, la culture du football.

❝ Ce qu'il y a de plus étonnant dans nos rituels du football, c'est que, finalement, c'est peut-être un véritable acte politique et démocratique qui est à l'œuvre.❞  

Cette valeur de cohésion mériterait l'attention des politiques. Le pouvoir de l'Etat est insuffisant du point de vue de la démocratie face à cette puissance de l'effervescence sociale. Peut-être est-il temps de renouer avec cette "part maudite" ? Cela passe dans un premier temps par une compréhension de cette culture foot, une compréhension de l'intérieur, c'est-à-dire sans jugement sur ce qu'une culture devrait être mais l'acceptation et le respect de ce qu'elle est. La fête du football ne doit pas seulement être envisagée du point de vue des dispositifs de sécurité qu'il faut déployer mais comme une formidable occasion de rassembler au-delà des clivages politiques. C'est l'un des derniers feux de l'identité collective, dans une société en paix et soumise à la mondialisation. On peut s'étonner que cette valeur ne soit pas davantage saisie par le politique, de droite comme de gauche, non dans une perspective électorale, mais tout simplement parce qu'on touche là à l'essence même du politique qui est de partager un projet commun, dont chacun serait fier, et surtout de le vivre ensemble.

Le football doit cesser d'être regardé de haut. Le Mondial, les Ligues 1 et 2, les instances, les joueurs, les supporters et les spectateurs, tous communient et alimentent une culture bénéfique, positive et rassurante.


Anthony Mahé

Anthony Mahé Ph.D, est sociologue, Associé et Directeur de la connaissance chez Eranos. Chez Eranos, il a en charge la production et la validation de la connaissance, et dirige le CERES, le Centre de Recherche sur l’Entreprise et la Société. Avec son équipe, il a accompagné La Poste BSCC sur la dématérialisation et l’écologie de l’attention, Atlantic sur les modèles de relation client, ou encore Groupama sur l'engagement des collaborateurs. Il est particulièrement investi sur les missions dans le secteur de la bancassurance et en particulier les modèles mutualistes.

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